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mots, les métaphores guindées, les hyperboles absurdes, les jongleries de la phrase. Les Italiens, en général, expriment l’amour comme s’ils ne le sentaient pas. Dans la Jérusalem délivrée, Tancrède se plaint de ce que l’eau de ses larmes n’éteint pas le feu de son cœur ! Marini fait usage de termes plus recherchés encore, et tous les poëtes inférieurs prodiguent les locutions hétéroclites. Ils ne deviennent naturels, sauf exception, qu’en devenant trop lestes. Certains passages de l’Arioste, de Boccace et de l’abbé Casti suffiraient pour le prouver. Il est peu d’ouvrages italiens qui ne renferment des détails inconvenants. Le plus modeste, le plus délicat, le plus réellement épris des poëtes ultramontains, c’est le plus énergique de tous. Dante a su peindre l’amour noble et pur, comme il a su peindre l’horreur de l’abîme et les désolations de l’enfer.

Les poëtes septentrionaux, à la vérité, ne sont point exempts de recherche : ils ont leur genre d’affectation et de mauvais goût ; mais leurs excès n’attaquent point la forme, ne la chargent pas de vaines ciselures. Les pointes, les calembours, les allégories, les tours de force rhythmiques, les intéressent peu. Leur prétention a pour objet la pensée même et porte sur les analyses psychologiques, les délicatesses du sentiment, se trahit par la subtilité de l’expression et des distinctions morales ; si elle tombe dans l’argutie, dans la métaphysique, elle ne tombe pas dans le faux ; les passions vives s’accommodent très-bien d’une certaine finesse exagérée ; elles y poussent, elles la produisent même naturellement. L’amour sincère est jaloux d’un regard, d’un mot, d’un signe, d’un rêve, d’une pensée. Les raffinements des poëtes septentrionaux ne choquent donc point comme l’afféterie des littératures méridionales. C’est de la scolastique, sans doute, mais une scolastique charmante et vraie. Elle s’adresse à des femmes réelles, qui l’écoutent en souriant, qu’elle exalte et qu’elle enivre. Aussi le genre humain l’a-t-il, en quelque sorte, adoptée, au lieu qu’il repousse les fadeurs ultramontaines. Amy Robsart, Egmont, Julie et Saint-Preux, Max et Thécla, Chatterton, Adolphe, Cinq-Mars, Virginie, le Corsaire, le Giaour, ne nous choquent point, ne nous fatiguent point de leur tendresse hyperbolique, parce que tout le monde a plus ou moins éprouvé leur enthousiasme, regrette ou convoite ces fiévreux transports ; mais personne n’a employé le langage factice de Pétrarque et de ses imitateurs, personne ne s’est laissé entraîner à ces orgies de mots, de syllabes, de métaphores, d’emblèmes, de concetti et de calembours. On peut parler aux femmes comme les héros de Thomas Moore : elles éclateraient