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aliment ! bizarre salamandre ! » Les troubadours, au surplus, lui avaient enseigné cet art funeste ; et les subtilités de l’esprit comme du langage sont si naturelles aux méridionaux, que Calderon, Lope de Vega, une foule d’auteurs espagnols, en abusent aussi opiniâtrément que les rimeurs italiens.

Les accents vrais sont donc assez rares chez Pétrarque : presque jamais il ne pousse un cri de joie, il ne laisse échapper un sanglot de douleur. La rhétorique le préoccupe en général bien plus que son amour. Il faut lire maints sonnets pour trouver l’expression réelle de la tendresse, du plaisir et de la mélancolie.

Tacito vo : che le parole morte
Farian pianger la gente, ed i’ desio
Che le lagrime mie si spargan sole.

« Je vais en silence, car mes tristes paroles feraient pleurer tout le monde, et je veux répandre des larmes solitaires. »

Feuilletez Pétrarque, vous verrez combien sont peu nombreux les passages où l’on sent vibrer, comme dans celui-ci, une profonde et sincère émotion. L’emploi continuel de la mythologie augmente la froideur de ses paroles et ajoute au caractère factice de sa poésie : l’Amour et son arc, Apollon et Phœbé, Jupiter et Neptune, détournent sans cesse l’attention du lecteur, qui voudrait voir les amants errer tout seuls parmi les bois, sous une pluie de fleurs, les poëtes méridionaux prodiguant les fleurs avec une libéralité inépuisable. Voici, par exemple, la lourde et ennuyeuse métaphore dont il surcharge, dont il comble, pour ainsi dire, tout son deuxième sonnet :

« Voulant exercer une gracieuse vengeance et punir d’une seule fois mille outrages, l’Amour reprit clandestinement son arc, comme une homme qui cherche le lieu et l’occasion de nuire.

« Ma force s’était retirée dans mon cœur, aussi bien que dans mes yeux, comptant y faire résistance, lorsque le coup mortel descendit justement là où toutes les flèches s’émoussaient d’habitude.

« Troublée dès le premier assaut, elle n’eut ni le temps ni la vigueur de prendre les armes, comme il était nécessaire ;

« Elle ne sut pas davantage m’entrainer sur la haute et abrupte colline, pour me tirer adroitement de la bataille, d’où je voudrais bien, mais ne puis actuellement sortir. »

Lancée dans une voie fatale par un homme d’un immense renom, entraînée aussi par les tendances secrètes de l’esprit national, toute la littérature italienne courut après les jeux de