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Toujours le même nombre de vers, toujours le même entrelacement de rimes, toujours la même espèce d’harmonie. Jamais cette éloquence facile, abondante, involontaire, qui sort des profondeurs de l’âme, jamais ces fougues de la diction et du rhythme, où se laissent entraîner les passions violentes. On se moque des hommes inflexibles sur l’étiquette, pleins d’attention pour leur costume et prenant un soin perpétuel de ne pas en déranger la symétrie ; éclairées par un instinct qui ne les trompe pas, les femmes détestent généralement ces petits-maîtres ; elles pensent qu’étant si occupés de leur personne et de leur parure ils ne sauraient éprouver les fortes émotions inséparables des vrais attachements.

Mais celui qui révèle dans ses paroles une égale contrainte, qui les soumet à une irrévocable mesure et songe aux mots bien plus qu’au sens, n’a-t-il point un ridicule du même genre ? Peut-on le croire transporté de joie et de douleur, quand il attife prétentieusement ses phrases, leur met du carmin et des mouches ? L’exaltation du cœur a-t-elle jamais inspiré des calembours ? Pétrarque cependant fait un usage perpétuel de cette glaciale équivoque. Il nomme sa maîtresse un laurier, l’or, l’air, l’heure (Lauro, L’oro, L’aura, L’ora), prenant plaisir à greffer sur ce tronc vicieux tout un branchage de développements insipides. Il vous dira qu’il ne peut être heureux sans l’or, sans conquérir le laurier, sans respirer l’air, sans que l’heure lui soit favorable, et autres sornettes du même genre. Il s’amuse à réunir par la pensée deux syllabes distantes l’une de l’autre pour en former le nom de sa belle ennemie, de son inflexible Diane, comme dans le vers suivant :

Cosi LAUdare e REverire insegna
La voce stessa, etc.

Colonne, l’ami de Pétrarque, n’est plus un ami : c’est une véritable colonne, soutien du poëte. Dans d’autres endroits, Laure devient un soleil, un astre, un bien, un trésor, une fontaine. Pétrarque se lasse-t-il du sonnet, il écrit des sextines : ce sont des pièces de vers où six mots donnés se retrouvent dans chaque strophe. Quelques-unes se distinguent par une recherche prodigieuse : chacun des six mots termine un vers, mais ils ne gardent point le même ordre, et les combinaisons que poursuit l’auteur sont tellement variées, tellement laborieuses, que nous ne saurions en donner une idée nette : il faut les voir pour les comprendre. La même affectation gâte perpétuellement le style du poëte ; il ne craint pas de dire : « Je me nourris de ma mort et je vis dans la flamme : étrange