Rappelons d’abord que Pétrarque a donné le ton à la poésie sentimentale, servi de modèle au delà des Alpes. Son influence, pernicieuse en Italie, ne le fut pas moins chez nous. Sans doute son affection n’est pas dépourvue de délicatesse : il nous offre, jusqu’à un certain point, le type de l’amour rêveur, platonique et désintéressé. La passion qu’il exprime n’a rien de commun avec l’ardeur des sens : un mot, un regard, un sourire, voilà tout ce qu’il implore ; il s’enivre de la faveur la plus innocente et compose dix sonnets ou ballades sur une entrevue. Peu d’hommes ont été aussi chastes dans leurs écrits ; mais cette réserve factice, en désaccord avec ses mœurs, l’a jeté dans le faux et le conventionnel. C’est un amour de tête qu’il peint, une donnée littéraire qu’il développe. Sa dame et lui étaient convenus de s’adorer soit en vers, soit en prose, mais de ne point franchir la limite des tendresses immaculées. L’amant soupirait, tournait languissamment les yeux, se confondait en éloges sur le front, sur la bouche, sur le menton, sur les cheveux de sa déesse, de son astre, de son soleil ; l’amante lui octroyait tous les mois un regard, lui adressait une parole à chaque saison nouvelle, lui permettait de toucher sa main une fois par an. C’était alors des cantiques d’allégresse qui n’en finissaient point.
Sont-ce là les véritables caractères de l’amour ? Ne le défigure-t-on pas en voulant le réduire à une sorte d’ivresse intellectuelle, à une mystique adoration ? Il a évidemment son enthousiasme ; sa poésie, tous les genres de délicatesse, tous les raffinements de l’esprit et du cœur, mais il ne flotte point dans le vague de l’espace ; son côté réel, positif, n’échappe aux regards de personne ; l’imagination peut l’embellir, elle ne saurait l’omettre sans égarer cette violente affection, sans lui donner un aspect louche, un caractère faux, absurde même et par suite fastidieux, comme tout ce qui est chimérique. Au bout de quelque temps, le poëte et son idole paraissent deux visionnaires.
Cette absence de vérité frappe d’autant plus, que, malgré sa discrétion invariable, Pétrarque laisse constamment apercevoir sa nature méridionale. Il ne manifeste que des sentiments d’une pudeur angélique ; mais son élocution n’a pas des ailes de séraphin. Son enthousiasme idéal traîne derrière lui un lourd matérialisme : quand son esprit s’exalte, quand son imagination se tourne vers le ciel, où lui apparaissent des beautés divines, son expression rampe sur la terre et brise l’élan de sa pensée.
Quel étrange choix d’abord pour un amoureux que cette forme du sonnet, forme restreinte et compliquée en même temps, qui se prête si mal aux véhémentes effusions d’un cœur bien épris ?