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Luy couvroit tout le corps ; son chef environné
De rayons éclatans, de laurier couronné,
Le rendoit venerable ; en sa main bien-heureuse
Il portoit triomphant la palme courageuse.
Sa voix n’avoit changé ; de la mesme douceur,
Dont vivant il souloit emmieller mon cœur.
Il me tient ces propos : « Non, non, je ne refuse
Ce tien devoir, ami, tes regrets je n’accuse ;
Ce dueil, race d’Amour, monstre que ta pitié,
Vivante apres la mort, garde son amitié.
Mais c’est assez pleurer, je vy parmy les anges,
Guerdon d’avoir chanté du grand Dieu les loüanges.
« Comblé des saints desirs, si du ciel le sejour
Donnoit place au regret, j’auroy regret au jour
Et voudroy puissamment renaistre de ma cendre,
Seulement pour servir nostre grand Alexandre,
Et sa gloire animer. Si du ciel aimantin
La nonchangeante loy, immuable destin,
N’eust si tost avancé le soir de ma journée,
De ma bouche bien-haut sa louange entonnée,
De son nom dans mes vers prenant l’éternité,
Seroit l’estonnement de la posterité.
Sa valeur, sa clemence, en ma plume feconde,
Eussent fait voir au vif le plus grand roi du monde.
« Quel plaisir m’eust ravy de servir cet enfant,
Surgeon de ce grand roy que le ciel aime tant,
L’œil, la vie, le cœur et l’ame de la France ?
Du teint des bonnes mœurs j’eusse imbu son enfance :
Premier j’eusse gravé dedans ce jeune cœur,
Source du vray sçavoir, la crainte du Seigneur,
L’honneur plein de respect envers le roy son pere,
Le respect plein d’amour vers la royne sa mere.
« De grec ny de latin ne chargeant son cerveau,
J’eusse guidé ses pas par un sentier nouveau.
C’est l’art de bien regner qu’il faut apprendre aux princes
Pour, lieutenans de Dieu, bien regir leurs provinces.
Laborieux mestiers, que void le monde en soy
Plus grand que quand il voit un seul donner la loy
A un peuple infiny, esmerveillable ouvrage ?
Sans doute, le regner est de Dieu le partage.
« Moins soigneux de l’esprit que de l’entendement,
J’eusse par beaux discours formé son jugement,
Pour voir le vray, le faux, la vertu et le vice.
Je luy eusse imprimé l’amour de la justice
Et de la pieté, ces deux puissantes sœurs,
Ces deux filles du ciel, les roynes des grands cœurs,