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Jusqu’au dernier soupir ceste compagne chere
Ne l’abandonne point ; avec elle sa mere,
La bonne conscience, estoit à son costé.
Ainsi donc se trouva ce grand homme assisté,
Sur le point que la mort inexorable et fiere
Entra, pour luy oster du beau jour la lumiere ;
Il ne s’estonne point, ains repeu du saint pain :
« O jour des autres jours le juge souverain,
Tu ne m’as pas surpris ! Je sçavois que ma vie
De la mort, ce dit-il, seroit bien tost ravie.
J’ay mon cours achevé, comme les cieux amis,
Roulans dessus nos chefs doucement l’ont permis,
Des ans au pied leger les courses retournées
A peine m’ont fourny six dixaines d’années,
Pourtant je ne murmure, ains je m’en vay content,
Plein d’espoir qu’en ses bras le grand Dieu, qui nous tend
La main pour nous sauver, recevra ma pauvre ame.
Exauce ma priere, ô Dieu que je reclame !
Mon ame, ton portrait, j’ay souillé ; lave moy,
Et, net de toute ordure, en ton ciel me reçoy. »
A tant rendit l’esprit, en ce point fut finie
D’une si belle mort une si belle vie.
Or, adieu, cher ami ! adieu, belle ame ! adieu !
De ta muse orphelins, nous restons en ce lieu,
Veufs de nostre soleil. Nostre ame desreglée,
Servante de son dueil, de sa perte aveuglée,
Ne peut sinon gemir ; sus pleurons, car, helas !
Que n’avons-nous perdu par ce cruel trespas ?
Pleurer est trop commun, commune n’est ma paine,
Ne pleurez point mes yeux, ains devenez fontaine,
Mais plustost un torrent, qu’en une mer de pleurs,
Moy-mesme me noyant, je noye mes douleurs.
Le desespoir tiroit ces plaintes de ma bouche,
En mes larmes desjà à nage estoit ma couche,
Quand estonné j’entr’oy un doux coulant parler,
Mon oreille flattant, qui me vient consoler.
Chez le pere Ocean la paresseuse Aurore
De son vieillard Titon le sein pressoit encore,
La nuict faisoit partout regner l’obscurité ;
Ma chambre j’apperçoy pleine de grand’ clarté ;
Un horreur me saisit, en fin je me hazarde,
Et, d’un œil arresté, plus hardy je regarde
D’où vient cette lueur, regardant à trois fois.
Plein de gloire, je voy cil que mort je pleurois ;
Une aube de fin lin plus que la neige blanche,
A replis ondoyans, descendans sur la hanche,