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Qu’a la terre, la mer, qu’avez-vous, ô grands cieux !
Qu’enclos ne tient chez soy cet esprit curieux ?
Longue posterité, ces vers tu pourras lire,
Avec estonnement : qui les lit, les admire.
Mais, helas ! d’avoir part à mille beaux discours,
Riches de beaux sujets, de beaux mots, qu’en nos jours
L’astre, qui en ce tans, benin, nous a fait naistre,
Nous a permis d’ouyr, escolier d’un tel maistre,
D’entendre le parfait de sa divine voix,
Qui ravit estonnez les princes et les rois,
Des Parques, te filant, la trop lente fusée
Cruelle a ceste grace à tes jours refusée ;
Que le regret t’en reste, et croy que le soleil,
Ce monde biaisant, ne voit rien de pareil.
Racontez comme en luy la sainte poësie,
Rare present du ciel, franche de frenaisie,
Se maintint pure et nette. Il n’avoit sur le front
Le mal plaisant chagrin, ainsi que ceux qui ont,
Solitaires fascheux d’une façon trop rude,
Leur sçavoir renferme dans leur pedante estude ;
Il estoit franc, ouvert, bon liberal et dous.
Des muses le sejour, sa table, ouverte à tous,
Chacun jour se bordoit d’une sçavante trope
Des plus rares esprits, l’eslite de l’Europe.
Entr’eux il paroissoit, comme en la claire nuit
La lune au front d’argent entre les astres luit ;
Tant bien il discouroit, tant des levres décloses
De sa bouche feconde issoient de belles choses.
Dites comme à la cour des rois il fut chery,
Aimé des grands seigneurs, des princes favory,
Qu’à la cour ne le print des courtisans le vice,
L’ardante ambition, l’exécrable avarice :
Riche de sa vertu, mesprisant les grandeurs,
Aux autres, non à soy departant les honneurs.
Il posséda son roy : des affaires de France
Oncques homme vivant n’eut si grand’ connaissance.
L’age l’y conviant, guidé par la raison,
Il changea doucement la cour à sa maison,
Port de félicité aux autres non commune.
Jamais homme n’usa des biens de la fortune
Sagement comme luy : tranquillité d’esprit,
Dont on a tant parlé, dont on a tant escrit,
Que chacun cherche tant, que personne ne treuve,
Vray nectar qui rend dieux les mortels qu’il abreuve,
Douce paix de nostre ame, à bon droit avois-tu
Choisi pour ta demeure une si grand’ vertu !