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Lorsque le jeune sang bouillonnoit dans ses veines
De genereux desirs et d’amours toutes pleines,
Esclave devenu de l’enfant qui, sans yeux,
Tient subjects sous sa loy et la terre et les cieux,
D’une douceur naïfve, au sujet convenable,
Escrivit ses amours, ouvrage inimitable.
Au renom de ses vers, vers les rois de nos cœurs,
Ce grand Ronsard tressaut, jaloux de tels honneurs ;
Des muses les outils, que, refroidy par l’age,
Il laissoit pendre au croc, reprend de grand courage,
D’un effort plus qu’humain reschauffant son beau sang.
Que ne fait un grand cœur pour ne perdre son rang ?
Amour donc, de soy foible enfant, qui de nos ames
Est contraint desrober ses petillantes flames,
Pour maintenir vivant le feu de son flambeau,
Son siege avoit choisi en un esprit si beau ;
Là est son fort, et croit qu’en gardant ceste place,
Au monde il n’y a rien si fort qu’il ne terrasse.
L’amour de Dieu l’assaut, et d’un divin effort,
Entré dans ce beau cœur, se rend maistre du fort,
Tuë le faux Amour. O heureuse victoire !
Nostre en est le profit et tienne en est la gloire,
O grand Dieu tout puissant ! Depuis, son vers chrestien
N’a celebré, Seigneur, autre nom que le tien.
Ses vers, enfans du ciel, qui embrassent la terre,
Sont, ô Dieu ! les esclairs de ton divin tonnerre.
Heureuse medecine à nos lentes froideurs,
Qui fait en ton amour fondre nos humbles cœurs.
Resjouy-toy, David, ceste ame en Dieu ravie
Dedans les cœurs françois t’a redonné la vie :
Ores la France entend, d’un magnifique ton,
Bruire divinement ta royale chanson.
Que fay-je ? ah ? je me pers, que fay-je, temeraire ?
Aux autres je pourray en me plaisant desplaire ;
On ne peut dignement parler de tes escrits,
Des combats des neuf sœurs ce doit estre le prix.
Vous qui, sans passion, escrivez nostre histoire,
En la gloire d’autruy qui cherchez vostre gloire,
Non, non, ne contez point à la postérité
Le los qu’a, par ses vers, Des-Portes merité ;
Sa plume (excusez-moy), plus que la vostre forte,
Pour le temps surmonter a jà brisé la porte
De l’oublieux trespas ; le renom de ses vers
Sans fin aura pour fin la fin de l’univers.
Dites aux survivans de son cerveau capable,
Fontaine de sçavoir, la source inexpuisable.