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Car cil, qui seul pouvoit en nos plus grands malheurs,
Charmant l’ame affligée, alléger nos douleurs,
Las ! nous l’avons perdu ! C’est celuy qu’à ceste heure
La France, tout en dueil, tant amerement pleure.
Tout ce que nous pouvons est gemir, sangloter,
Soupirer apres luy : un mal bien raconter,
Trouver par beaux discours de l’heur en la misere,
Flatter nos sens trompez, luy seul le pouvoit faire.
Aussi ces vers ne sont qu’un effort de douleur,
Qui, malgré moy, m’emporte et maistrise mon cœur,
Qui me donte et me tient, qui me point et m’enflame,
Et me fait tant oser. Pardonne-moy, belle ame,
Si j’ay trop entrepris, si d’un fascheux propos,
Engeance de mon dueil, je trouble ton repos.
Comme l’on voit en l’air un noir espais nuage,
Se crevant, enfanter le tonnerre et l’orage ;
Ainsi ma grand’ douleur esclate et par le bruit
De ces vers s’evapore, et ces regrets produit.
Mais aide à ma foiblesse, et ta fureur divine,
O ame bien-heureuse ! inspire en ma poitrine,
Afin que, parsonnier de la celeste ardeur,
J’égale à mes regrets de mon mal la grandeur.
Quand Des-Portes nasquit, la nature accouchée
De son fils bien aymé, à chef baissé panchée
Sur l’enfant, le mignarde et, au lieu du tetin,
Luy donnant du nectar, l’emplit de feu divin.
Apres au double mont à longs traits le feit boire,
Et le baille à nourrir aux filles de memoire,
Si qu’encores enfant, des vers il façonna,
Et de sa docte voix un chacun estonna,
Si loin par son sçavoir il devançoit son age,
De sa grandeur future infaillible presage !
De mesme quand d’un fleuve on voit les fortes eaux
Dès leur premiere source endurer les bateaux,
L’on dit que, large et grand, d’un pas leger et vite,
Il s’ira décharger dans le sein d’Amphitrite ;
Ou, comme le pasteur, qui, de loin parmy l’air,
Entend du premier bruit le foudre grommeler,
Suivy d’un peu d’esclair, presage un grand tonnerre,
Un grand foudre prochain, la frayeur de la terre.
Les fruits qu’il nous fist voir en son age plus meur,
Ne dementirent point ceste premiere fleur :
Il fut tout aussi tost reconnu par la France
Un foudre de bien dire, un torrent d’éloquence,
Et, brusquement porté sur l’aisle de ses vers,
Du clair bruit de son nom il remplit l’univers.