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Mais qui cognoist assez l’effort de ta colere,
Et qui, l’apprehendant autant qu’elle est severe,
N’a peur de t’irriter ?
De ta dextre, ô Seigneur ! admirable en puissance,
Et de nos jours si courts donne-nous cognoissance,
À fin que la sagesse en nous puisse habiter.

Retourne-toy, Seigneur, soit ton ame appaisée.
Jusqu’à quand ces rigueurs et ceste ire embrasée
Sur tes pauvres servans ?
Monstre-toy consolé, sois-leur doux et propice ;
Fay que dès le matin ta bonté nous remplisse,
Et nous te chanterons tant que serons vivans.

Vueille nous resjouir au prix de nos tristesses,
Pour les ans de nos maux donne-nous des liesses ;
Qu’on voye, ô Tout-Puissant !
Ton œuvre en tes servans, ta splendeur sur leur rare,
Soit sur nous du Seigneur la lumiere et la grace ;
Qu’il conduise nos mains, qu’il les aille adressant.


PSAL. CXXXIX

DOMINE PROBASTI ME

Seigneur, tu m’as sondé, tu m’as veu sans cesser ;
Mon lever, ma seance à tes yeux n’est secrette ;
Tu sçais bien loing devant quel sera mon penser,
Tu descouvres, Seigneur, mon giste et ma retraicte,
Et prevois tous les pas que mon pied doit presser.

Mon propos t’est present qu’il n’est pas prononcé ;
Tu connois toute chose et passée et nouvelle.
C’est toy qui m’as formé, tes mains m’ont compassé,
Monstrant en moy, Seigneur, une science telle,
Que, quand j’y veux monter, mon esprit est lassé.

Où fuiray-je ? ô Seigneur ! où m’en pourray-je aller,
Évitant ton esprit et l’aspect de ta face ?
Tu remplis tous les cieux, si j’y pense voler,
Et tout au mesme instant, si je change de place,
Je te trouve aux enfers, quand je veux devaler.

Si j’attache à mon dos le plumage divers
De l’aurore embausmée, et recelle ma fuite
Jusqu’aux bouts plus perdus des plus lointaines mers,
Ta main par tout m’attrape, ardante à ma poursuite,
Et ton bras ne me perd en l’obscur des deserts.

Quand j’ay dict : « Pour le moins les tenebres du soir
Couvriront mes plaisirs, » faulse est mon esperance ;