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PSAL. LXXXVIII

DOMINE DEUS SALUTIS MEÆ, ETC.

Je crie à toy de jour, je crie à toy de nuit,
Seigneur, Dieu de ma delivrance ;
Oy ma priere, helas ! qu’elle entre en ta presence,
Ten l’oreille à mon cry, voy le mal qui me nuit.

De douleur et d’ennuis ma pauvre ame est soulée ;
Ma vie a touché le trespas.
On me conte entre ceux qui descendent là-bas ;
Ma vigueur tout à coup de moy s’est escoulée.

Delivre, entre les morts qu’un long somme a touchez,
Sans aucun soin l’on m’abandonne,
Comme les corps meurtris que la tombe environne,
Loin de ton souvenir de ta main retranchez.

En la fosse plus basse aux tenebres profondes,
Ombres de mort, tu m’as jetté ;
L’effort de ton courroux sur moy s’est arresté,
J’ay senti dessus moy tous les flots de tes ondes.

Ceux qui me cognoissoyent, tu les as esloignez ;
À tous je leur suis detestable.
Je ne sors du tout point, prisonnier miserable ;
La tristesse affoiblist mes yeux tousjours baignez.

De clameurs, ô Seigneur ! j’ay comblé tes oreilles,
Tout le jour mes mains t’elevant.
Vas-tu donc pour les morts tes hauts faits reservant ?
Se releveront-ils pour chanter tes merveilles ?

Ta clemence au tombeau se dira-t-elle mieux
Et tes veritez en la perte ?
Luiront mieux tes hauts faits en l’horreur plus couverte
Et tes jugemens droits au sejour oublieux ?

Las ! dès le poinct du jour, Seigneur, je crie à toy,
Je te previens par ma priere.
Qui te fait rejetter ma pauvre ame en arriere ?
Pourquoy destournes-tu ton visage de moy ?

Moy, pauvre et languissant dès mon age plus tendre,
Les travaux me vont consumant ;
Quelquefois elevé, mais aussi prontemant,
Bas et confus d’esprit, ta main me fait descendre.

Sur moy de tes courroux le desbord est passé,
Je suis emporté de tes craintes,
Qui, comme un long cours d’eau, m’environnent d’enceintes ;
Je me voy tout autour ce deluge amassé.