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nier jour, tu ne m’as point surpris ! Je savais que la mort ne nous épargne pas longtemps. J’ai mené une vie douce et heureuse, sous un ciel favorable, et, à peine âgé de soixante ans, j’arrive au bout de ma carrière. Je n’en murmure point ; j’abandonne le monde sans douleur et sans inquiétude, persuadé que le dieu paternel, qui nous tend la main pour nous sauver, recevra ma pauvre âme dans ses bras. Exauce ma prière, ô souverain maître ! J’ai souillé en moi ton image ; fais disparaître jusqu’aux moindres vestiges de mes erreurs et ouvre-moi le ciel[1]. » Comme il achevait cette phrase, il rendit le dernier soupir. C’était le 5 octobre 1606 : Desportes avait en conséquence soixante ans et cinq mois.

Son frère Thibaut le fit enterrer dans l’abbaye de Bonport, où il venait de fermer les yeux pour toujours, et mit sur son tombeau l’épitaphe suivante :

« À Philippe Desportes, abbé commendataire de ce couvent, célèbre par l’aménité de ses mœurs, par la délicatesse de son esprit, par tous les genres de savoir et de qualités, si éminent d’ailleurs par son talent comme poëte, que les Muses semblaient avoir découvert tous leurs secrets à un seul individu. Ces mérites supérieurs en avaient fait, suivant l’opinion générale, le prince des poëtes français de son temps, l’égal des poëtes anciens de Rome ou d’Athènes. Ils le rendirent si agréable aux rois très-chrétiens Charles IX, Henri III et Henri IV, que la libéralité de ces souverains dépassa de beaucoup ses vœux, la nature lui ayant donné une extrême modération. Par un exemple rare de désintéressement à une époque ambitieuse, il refusa d’abord la charge importante de secrétaire des commandements du roi, puis le siège archiépiscopal de Bordeaux. Quoique, parmi tant de titres divers, son excellente traduction des Psaumes de David pût suffire à sa gloire éternelle, Thibaut Desportes, par affection et par reconnaissance pour un frère si bon, qui l’avait obligé, a voulu lui consacrer ce monument, où il repose dans l’espoir d’une résurrection bienheureuse. Il vécut soixante ans et cinq mois, et mourut en 1606, le troisième jour des nones d’octobre[2].

  1. Le Tombeau de Desportes, par Jacques de Montereul. Les dernières paroles semblent prouver que Desportes ne croyait pas plus à l’enfer qu’au purgatoire.
  2. Voici le texte latin de cette épitaphe, que nous a conservée Niceron, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres, t. XXV :

    « Philippo Portæo, hujusce monasterii abbati commendatario, morum suavitate, elegantia ingenii, omnique eruditionis ac virtutis genere præ-