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Qui de larges ruisseaux m’enflera les deux yeux,
Pour noyer mes peschez, mon angoisse et mes peines ?

Mes chants soyent convertis en longs gemissemens,
En tenebres mes jours, mes plaisirs en tourmens ;
Que je seme mon chef de poussiere et de cendre,
Que des bons comme ingrat je sois abandonné ;
La crainte et la tremeur m’ont tout environné,
Et la bouche d’enfer s’ouvre à fin de me prendre.

Que d’un seul en mon dueil je ne sois consolé,
Car du livre de Dieu mon nom est cancelé.
Monts, bois, fleuves, rochers, pleurez mon adventure !
Le portraict du Seigneur j’ay moy-mesme effacé,
J’ay deslaissé mon pere et son bien despensé,
Puis avec les pourceaux j’ay pris ma nourriture.

Mais pourtant à mon Dieu je me veux presenter,
Je veux, las ! à ses piés tout en pleurs me jeter,
Poussant du fond du cœur ceste voix lamentable :
« J’ay pesché devant toy, pere doux et clement ;
Je m’appelle ton fils, mais c’est indignement,
Mon malheur ne merite un nom si favorable.

« De l’abysme où je suis à toy je vay priant ;
Pardonne, à ton enfant contrit et suppliant !
Je te demande grace et fuy toute justice,
Ne veuille droictement mes erreurs balancer ;
Ta justice, ô Seigneur ! ne se doit exercer
Que contre le mechant, qui s’obstine en son vice.

« Plaise-toy de tout poinct mes pechez pardonner. »
Mais ce n’est pas assez, je crains d’y retourner ;
Ma foiblesse, ô Seigneur ! m’est trop et trop cogneuë
Aide donc, s’il te plaist, à ma fragilité,
Et puis que de la mort tu m’as ressuscité,
Que mon ame au tombeau ne soit plus detenuë.

Esclaire à mon esprit, et le conduis à toy,
Rempli mon cœur d’amour, de confiance et de foy,
De tous objets trompeurs mes yeux vueille distraire,
Mon oreille à jamais soit ta voix escoutant,
Ma bouche incessamment ta gloire aille chantant,
Et que d’ame et de corps sans fin je te revere.


PSAL. XXXVIII


DOMINE, NE IN FURORE TUO ARGUAS ME


Seigneur, helas ! ne repren mon offense
En ta juste fureur ;