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Il a souvent bouilly de rage et de dedain,
Il a senti douleur du bien de son prochain,
Il a long-tans couvé mainte haine immortelle,
Il s’est enflé d’orgueil, il s’est desesperé ;
La chaude ambition l’a souvent alteré ;
Il n’a point esté simple, ains double et peu fidelle.

Ces yeux, rois de mes sens, qui me devoyent guider
À toute heure à mon bien et du mal me garder,
Ne laissans nulle entrée aux amours insensées,
Charmez d’un vain plaisir, lasches se sont rendus ;
Par eux mes autres sens ont tous esté perdus,
Et de mon foible cœur les desfenses forcées.

Eux qui tousjours en haut devoyent estre dressez,
Ont tenu leurs regards vers la terre abaissez ;
Eux, qui devoyent pleurer jour et nuict mon offense,
Ont pleuré, las ! hé quoy ? quelque vaine rigueur,
Quelque oubly, quelque change, ou telle autre langueur,
Dont le maudit Amour ses servans recompense.

Mon oreille, où ta voix devoit tousjours sonner,
Toute aux contes menteurs s’est voulue adonner,
Ouverte aux faux rapports, fermée aux veritables ;
Elle a souvent ouy ton sainct nom blasphemer,
Mesdire, injurier, son prochain diffamer,
Et s’est pleuë au discours des amoureuses fables.

Las ! helas ! que ma bouche a failli contre toy !
Je l’avois, ô Seigneur ! pour enseigner ta loy,
Et du bruit de ton nom rendre la terre pleine,
Pour aider les mortels, au bien les appeller,
Les retirer du mal, reprendre et consoler,
Sans jamais la souiller d’une parolle vaine.

Mais, au lieu d’en cueillir un fruict tant desiré,
Je n’ay faict que mentir, je me suis parjuré,
J’ay despité le ciel, ta gloire et tes merveilles,
J’en ay flaté les grands et leurs maux desguisez ;
J’ay semé la discorde, et de propos rusez
J’ay souvent enchanté les credules oreilles.

Bref, chacun de mes sens, tant dedans que dehors,
Et chacune des parts de l’esprit et du corps
N’ont plus rien qui ressemble à leur forme premiere ;
Un seul trait de ta main n’est sur moy demeuré ;
Je suis un monstre horrible et si defiguré,
Que de peur de me voir je fuy toute lumiere.

Helas ! j’ay bien raison d’estre palle et tremblant ;
Ma confusion croist, mon mal va redoublant.
Qui du roc de mon cœur sortira des fontaines ?
Qui grossira mon chef de torrens furieux ?