Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et la rendre confuse en voyant tant de vices ?
Plaise toy donc encor les deux yeux me couvrir ;
Non, Seigneur, mais plustost vueille les mieux ouvrir,
Pour contempler ta grace et tes grans benefices.

Or’ que tout dedans moy je me suis retiré,
Des rayons de ton œil en ma nuict esclairé,
Que je voy de thresors dont tu m’es favorable !
N’estant, tu m’as faict estre, et m’as rendu vivant,
Tu m’as pourveu des sens, et plus haut m’eslevant,
Me depars le discours et me fais raisonnable.

Ta main d’ame et de corps a mon tout façonné,
De corps foible et mortel à la terre addonné,
Qui retourne à la terre au soir de sa journée ;
D’ame immortelle et vive à jamais demeurant,
Tousjours, comme à son bien, vers le ciel aspirant,
Si le monde abuseur ne l’en rend destournée.

Oiseaux, bestes, poissons, eaux, bois, plantes et fruits,
Nuict, jour, lune, soleil pour moy furent produits ;
Et pour rendre ta grace en tout poinct accomplie
Apres m’avoir laissé quelques jours savourer
De tes fruits icy-bas, s’il te plaist m’en tirer,
Tu me gardes au ciel une eternelle vie.

Tant de biens, ô Seigneur ! que departent tes mains
Par grace et franchement sont donnez aux humains ;
Tu n’en esperes rien, tu n’as de rien affaire ;
Il t’a pleu, tu l’as faict de libre volonté.
Voylà ce qu’en l’esprit je voy de ta bonté,
Lors que ton œil divin mes tenebres esclaire.

Mais quand je me regarde au miroir de ta loy,
Que dedans et dehors transformé je me voy,
Que je trouve en mon ame et de crasse et d’ordure !
Que mes sens corrompus sont devenus infects,
Que je m’appelle ingrat des biens que tu m’as faits,
Et que mon premier estre a changé de figure !

Cest esprit que divin tu m’avois faict avoir,
Pour l’elever au ciel, pour entendre et sçavoir,
Et pour te recognoistre aux traits de ton ouvrage,
Esgaré du sentier de sa felicité,
A choisi pour le vray l’ombre et la vanité,
Et luy-mesme à son bien s’est fermé le passage.

Ce cœur, des chauds desirs la source et l’aliment,
Que tu m’avois donné pour t’aimer ardemment,
Et pour servir de livre à ta loy tres-parfaite,
Ne t’a rien reservé de ses affections ;
Mais, en s’abandonnant aux folles passions,
À toutes les fureurs a servi de retraite.