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Mon cœur, qui n’en peut plus, s’ouvre en ces tristes plaintes,
Puisque ma voix, Seigneur, n’en a pas le pouvoir.

Ton ire en sa fureur si durement me touche,
Que pour ne crier point tu m’estoupes la bouche,
Et ne puis envoyer mes querelles aux cieux.
Mon chef tout à la fois a tari ses fontaines ;
Je n’ay pas seulement du sang dedans les veines
Pour respandre à boüillons par la bouche et les yeux

Tu m’as posé pour butte aux angoisses ameres,
Aux malheurs, aux regrets, aux fureurs, aux miseres ;
Mon mal n’est toutesfois si grand que mon erreur.
Mais si, pourray-je dire en ma peine effroyable,
Bien que je le reclame et doux et pitoyable,
Tu me fais trop sentir les traits de ta fureur.

De foiblesse et d’ennuis mon ame est esgarée,
Les os percent ma peau, ma langue est ulcerée,
Comme flots courroucez mes maux se vont suivans ;
Pour tout nourrissement j’engloutis ma salive,
Et croy que ta rigueur ne permet que je vive
Que pour servir d’exemple et de crainte aux vivans.

Depuis quatorze jours je n’ay clos les paupieres,
Et le somme, enchanteur des peines journalieres,
De sa liqueur charmée en vain me va mouillant ;
Il est vray que l’effort du mal que je supporte
Rend ma teste assommée, et m’assoupit de sorte
Qu’on me jugeroit mort, ou tousjours sommeillant.

En cest estonnement mille figures vaines,
Tousjours d’effroy, de meurtre et d’horreur toutes pleines,
Reveillent coup sur coup mon esprit agité ;
Je resve incessamment, et ma vague pensée,
Puis deçà, puis delà, sans arrest est poussée,
Comme un vaisseau rompu par les vents emporté.

Helas ! sois-moy propice, ô mon Dieu ! mon refuge !
Puny-moy comme pere, et non pas comme juge,
Et modere un petit le martyre où je suis ;
Tu ne veux point la mort du pecheur plein de vice,
Mais qu’il change de vie et qu’il se convertisse ;
Las ! je le veux assez, mais sans toy je ne puis.

Je ressemble en mes maux au passant miserable,
Que des brigans pervers la troupe impitoyable
Au val de Jericho pour mort avoit laissé ;
Il ne pouvoit s’aider, sa fin estoit certaine,
Si le Samaritain, d’une ame toute humaine,
N’eut estanché sa playe et ne l’eust redressé.

Ainsi, sans toy, Seigneur, vainement je m’essaye,
Donne m’en donc la force et resserre ma playe,