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XVII

Quand, miroir de moy-mesme, en moy je me regarde,
Je voy comme le tans m’est sans fruict escoulé,
Tandis que, de jeunesse et d’amour affolé,
Ce monde en ses destours m’amuse et me retarde.

La beauté de mes ans, comme un songe fuyarde,
Me laisse en s’envolant le poil entremeslé,
Le teint palle et flestri, le cœur triste et gelé,
Qui pour tous beaux pensers la repentance garde.

Me trouvant si changé, je dy morne et confus :
Tu n’es plus, ô chetif ! ce qu’autrefois tu fus,
Voy ta nuict qui s’approche et pense à la retraite !

R’acquiers le tans perdu, doublement travaillant,
Comme le voyageur trop tard se resveillant
Gaigne en doublant le pas la perte qu’il a faite.


XVIII

Je regrette en pleurant les jours mal employez
A suivre une beauté passagere et muable,
Sans m’eslever au ciel et laisser memorable
Maint haut et digne exemple aux esprits desvoyez.

Toi qui dans ton pur sang nos mesfaits as noyez,
Juge doux, benin pere et sauveur pitoyable,
Las ! releve, ô Seigneur ! un pecheur miserable,
Par qui ces vrais soupirs au ciel sont envoyez.

Si ma folle jeunesse a couru mainte année
Les fortunes d’amour, d’espoir abandonnée,
Qu’au port, en doux repos, j’accomplisse mes jours,

Que je meure en moy-mesme, à fin qu’en toy je vive,
Que j’abhorre le monde et que, par ton secours,
La prison soit brisée où mon ame est captive.


ODE

Arriere, ô fureur insensée !
Jadis si forte en ma pensée,
Quand d’amour j’estois allumé :
Rempli d’une flamme plus sainte,
Je sens maintenant toute estainte
L’ardeur qui m’a tant consumé.

C’est trop, c’est trop versé de larmes,
C’est trop chanté d’amours et d’armes,