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Que le bien de ce monde et l’honneur plus prisé,
N’est qu’un songe, un fantosme, une ombre, un vain nuage ?

Telle erreur si long-tans ne m’eust pas arresté,
Comme un second Narcis, amoureux de l’ombrage,
Au lieu du bien parfaict et de la verité.


XV

De foy, d’espoir, d’amour et de douleur comblée,
Celle que les pecheurs doivent tous imiter,
Ô Seigneur ! vint ce jour à tes piés se jetter,
Peu craignant le mespris de toute une assemblée.

Ses yeux, sources de feu, d’où l’Amour à l’emblée
Souloit dedans les cœurs tant de traits blueter,
Changez en source d’eau, ne font que degouter
L’amertume et l’ennuy de son ame troublée.

De ses pleurs, ô Seigneur ! tes piés elle arrosa,
Les parfuma d’odeurs, les seicha, les baisa,
De sa nouvelle amour monstrant la vehemence.

Ô bien-heureuse femme ! ô Dieu tousjours clement !
Ô pleur ! ô cœur heureux ! qui n’eut pas seulement
Pardon de son erreur, mais en eut recompense[1].


XVI

Quand le Verbe eternel, par qui tout est formé,
Eut enduré la mort pour nous donner la vie,
Trois disciples secrets, pleins d’amour infinie,
Dedans un monument ont son corps enfermé.

Mais avecques ce corps de ton fils bien-aimé
Fut enterré ton cœur, ô dolente Marie !
De tes yeux ruisselans la splendeur fut tarie,
Et de mille couteaux ton esprit entamé.

Le ciel, les elemens alors tous se troublerent,
De ce grand univers les fondemens tremblerent,
Et le soleil luisant esteignit son flambeau.

Ô secret que les sens ne sçauroient bien entendre !
Celuy qui comprend tout, et ne se peut comprendre,
Est clos pour nos peschez dans un petit tombeau !


  1. Traduit ou imité d’un sonnet italien qui débute par ces vers :

    Da speme, da dolor, da viva fede
    Mossa colei, al cui bel nome honore
    Rend’ oggi il mondo, venne al suo signore,
    Ch’ eternamente il tutto rege e vede.