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Régnier, suivant le témoignage de Tallemant des Réaux, écrivit à la marge :

Faut avoir le cerveau bien vide
Pour brider des Muses le roi ;
Les dieux ne portent point de bride,
Mais bien des ânes comme toi.

Quelque temps après, le rimeur vint chercher son œuvre, que Desportes lui remit avec force compliments. Mais voilà que le lendemain notre homme arrive tout bouffi de colère :

— On ne se moque pas ainsi du monde, dit-il à Desportes, mon manuscrit, à vous entendre, contenait de fort belles choses : elles sont belles, en vérité, celles que j’y ai découvertes !

Et il lui montre l’épigramme : Desportes reconnait aussitôt l’écriture de son neveu et se confond en excuses, n’ayant garde de ménager son extravagant auxiliaire. L’oncle et le neveu ne se ressemblaient point et ne devaient pas non plus avoir le même sort : Régnier se fit tout jeune de nombreux ennemis. En vain son père le sermonnait, en vain il lui recommandait de ne pas écrire ou d’imiter la sagesse de son habile parent : ses avis échouaient contre un naturel indomptable[1].

Pendant la vieillesse de Desportes, on lui offrit l’archevêché de Bordeaux ; mais il préférait sa quiétude et son bien-être. Il objecta qu’il ne voulait point avoir charge d’âmes.

— Mais vos moines ? lui dit-on.

— Mes moines ? répliqua-t-il ; oh ! ils n’en ont point !

Il les connaissait de vieille date.

Enfin le gracieux rimeur tomba malade de sa dernière maladie. L’Estoile prétend qu’il ne croyait point au purgatoire, non plus que M. de Bourges : et, comme celui-ci n’avait point ordonné de messes pour le salut de son âme, le poëte enjoignit de chanter seulement après sa mort deux psaumes qui attestaient son ferme espoir d’une éternité bienheureuse[2]. C’était le seul point de doctrine où il ne fût pas d’accord avec Rome. Il laissa, dit-on, échapper ces mots de regret : « J’ai trente mille livres de rente, et je meurs[3] ! » Après avoir ainsi fait ses adieux au monde, il ne témoigna plus que des sentiments chrétiens : il était trop habile pour se mettre mal avec le Dieu régnant. Lorsqu’il eut communié, il dit d’une voix tranquille : « Ô der-

  1. Bibliothèques françoise, de l’abbé Goujet, t. XIV.
  2. O quam dilecta tabernacula tua, Deus virtutum ! — Lætatus sum in his quæ dicta sunt mihi : in domum Domini ibimus.
  3. L’Estoile, Journal de Henri IV, année 1606.