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XII

La vie est une fleur espineuse et poignante,
Belle au lever du jour, seiche en son occident ;
C’est moins que de la neige en l’esté plus ardent,
C’est une nef rompue au fort de la tourmente.

L’heur du monde n’est rien qu’une roue inconstante,
D’un labeur eternel montant et descendant ;
Honneur, plaisir, profict, les esprits desbordant,
Tout est vent, songe et nue et folie evidente.

Las ! c’est dont je me plains, moy qui voy commencer
Ma teste à se mesler, et mes jours se passer,
Dont j’ay mis les plus beaux et ces vaines fumées ;

Et le fruict que je cueille, en que je voy sortir
Des heures de ma vie, helas ! si mal semées,
C’est honte, ennuy, regret, dommage et repentir.


XIII

Si j’ay moins de pouvoir, plus j’ay de cognoissance,
Si ma vie est un but immobile aux malheurs,
Si mon feu se nourrist dans les flots de mes pleurs,
Si la fin d’un travail d’un autre est la naissance,

Si rien qu’en des tombeaux nuict et jour je ne pense,
Si je n’aime que l’ombre et les noires couleurs,
Si le jour me desplaist, si mes fieres douleurs
Au repos de la nuict croissent leur violence,

Si sans sçavoir pourquoy je ne fais que pleurer,
Si du monde inconstant l’on ne peut s’asseurer,
Si c’est un ocean de misere et de peines,

Si je n’espere ailleurs ny salut ny secours,
Ô mort ! n’arreste plus, romps le fil de mes jours,
Et meurtris quant et moy tant de morts inhumaines !


XIV

Quand quelquefois je pense au vol de ceste vie,
Et que nos plus beaux jours plus vistement s’en vont,
Comme neige au soleil mes esprits se desfont,
Et de mon cœur troublé toute joye est ravie.

Ô desirs ! qui teniez ma jeunesse asservie,
Semant devant le temps des rides sur mon front,
Ma nef par vos fureurs ne sera mise à fond ;
Je voy la rive proche où le ciel me convie.

Mais pourquoy, las ! plustost ne me suis-je advisé