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La matiere difforme orner de forme ronde,
Et par ta prevoyance, en merveilles profonde,
Voir tout, conduire tout, et de tout disposer,

Seigneur, c’est peu de chose à ta majesté haute ;
Mais que toy, createur, il t’ait pleu pour la faute
De ceux qui t’offensoyent en croix estre pendu,

Jusqu’à si haut secret mon vol ne peut s’estendre ;
Les anges ny le ciel ne le sçauroyent comprendre ;
Apprens-le-nous, Seigneur, qui l’as seul entendu[1] !


VIII

Si mes ans les plus beaux, helas ! trop mal perdus
Au volage appetit d’amour et d’une dame,
Plein de chaude esperance et d’amoureuse flame,
À ta gloire, ô Seigneur ! eussent esté rendus ;

Mes soupirs et mes cris ne seroyent entendus
Maintenant, que trop tard le repentir m’entame,
Et ces vers, messagers de l’erreur de mon ame,
Seroyent en ton honneur çà et là respandus.

Au moins puis qu’à la fin sorti de servitude,
Je cognoy ma sottise et leur ingratitude,
Parfais en moy, Seigneur, ce qu’as bien commencé.

Ta bonté pour jamais de leurs fers me delivre,
Et le reste des ans que tu me feras vivre,
En si sterile champ ne soit ensemencé[2].


IX

Voyant tant de grands flots et de vents s’eslever
Pour submerger ma barque errante et passagere,
Eussé-je, ô souverain ! comme le second pere,
Au naufrage du monde, une arche à me sauver !

Peussé-je à mon besoin ta clemence esprouver
Et, comme les Hebreux en la terre estrangere,

  1. Traduction d’un sonnet italien qui commence par ces mots :

    Locar sovra gl’ abissi i fondamenti
    Dell’ ampia terra, e quasi un picciol velo
    L’aria spiegar, con le tuo mani il cielo
    E le stelle formar, chiare e lucenti, etc…

  2. Traduit ou imité d’un sonnet italien qui débute par cette strophe :

    Se di quei di, che vanneggiando ho speso
    Dietro a false speranze e cieco ardore
    Di donna e di signor, che ’l meglio e’l fiore
    Di lor s’han colto inutilmente e preso, etc…