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Loin, loin, bien loin de moy, venin trop dangereux
De ce troupeau vanteur, qui tout en soy se fie !
Leur audace, ô Seigneur ! sans fin te crucifie,
Avec plus de mespris que les juifs rigoureux.

Sainct Pierre, avant ta prise, ainsi fier de soy-mesme,
S’offre à mourir pour toy, brusle en ardeur extréme,
Puis au moindre peril tout autre il se fait voir ;

Et pour une servante il renonça son Maistre.
Cet exemple, ô Seigneur ! assez nous fait cognoistre
Combien sans ton secours foible est nostre pouvoir[1].


VI

Chargé de maladie et plus de mon offance,
Ô Seigneur ! tu me vois dans un lict perissant ;
Ma vigueur diminue, et ma douleur croissant
Fait chacun s’estonner de ma grand’ patiance.

Continue, ô mon Dieu ! donne-moy la puissance
De supporter ce mal, qui le corps va forçant,
Et fay que mon esprit soit tousjours benissant,
Au plus fort des douleurs, ta gloire et ta clemance.

Donne de l’eau, Seigneur, à mes yeux espuisez,
Pour rendre avec mes pleurs mes pechez arrosez,
Et les lave en ton sang avant que je trespasse.

Je ne demande point de vivre plus long-tans,
Du monde et de ses jeux mes desirs sont contans ;
Assez j’auray vescu si je meurs en ta grace[2].


VII

Sur des abysmes creux les fondemens poser
De la terre pesante, immobile et feconde,
Semer d’astres le ciel, d’un mot créer le monde,
La mer, les vens, la foudre à son gré maistriser,

De contrarietez tant d’accords composer,

  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Come, Dio, dir potro di poter solo,
    Senza la grazia tua, ch’ affrena e sprona,
    Acquistarmi la sù palma et corona,
    S’à mia vergogna ad à mia morte volo ?

  2. Imité d’un sonnet italien qui débute par ces vers :

    Carco già d’anni e più di colpe grave,
    Signor, giace il tuo servo, e ’l doppio incarco
    Di due morte lo sfida, e d’ambe el varco
    Si vede giunto, onde sospira e pave.