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Puis que l’heur souverain ailleurs se doit chercher,
Il faut de ces gluaux ton plumage arracher
Et voller dans le ciel d’une legere traicte.

Là se trouve le bien atfranchi de souci,
La foy, l’amour sans feinte et la beauté parfaicte
Qu’à clos yeux, sans profit, tu vas cherchant ici.


III

Puis que le miel d’amour, si comblé d’amertume,
N’altere plus mon cœur comme il fit autrefois ;
Puis que du monde faux je mesprise les lois,
Monstrons qu’un feu plus saint maintenant nous allume.

Seigneur, d’un de tes cloux je veux faire ma plume,
Mon encre de ton sang, mon papier de ta croix,
Mon subject de ta gloire, et les chants de ma voix
De ta mort, qui la mort éternelle consume.

Le feu de ton amour, dans mon ame eslancé,
Soit la sainte fureur dont je seray poussé,
Et non d’un Apollon l’ombrageuse folie.

Cet amour par la foy mon esprit ravira,
Et, s’il te plaist, Seigneur, au ciel l’elevera
Tout vif, comme sainct Paul ou le prophete Élie.


IV

Le jour chasse le jour, comme un flot l’autre chasse,
Le temps leger s’envolle et nous va decevant,
Miserables mortels, qui tramons en vivant
Desseins dessus desseins, fallace sur fallace.

Le cours de ce grand ciel, qui les astres embrasse,
Fait que l’age et le temps passent comme le vent ;
Et sans voir que la mort de pres nous va suivant,
En mille et mille erreurs nostre esprit s’entrelasse.

L’un, esclave des grands, meurt sans avoir vescu,
L’autre de convoitise ou d’amour est vaincu ;
L’un est ambitieux, l’autre est chaud à la guerre.

Ainsi diversement les desirs sont poussez.
Mais que sert tant de peine, ô mortels insensez ?
Il faut tous à la fin retourner à la terre.


V

Seigneur, preste l’oreille aux soupirs douloureux
D’un pecheur, qui sans toy de tout bien se desfie ;
Que ton injuste mort son peché justifie,
Et l’eleve par grace au lieu des bien-heureux.