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Et as peu comme tiens à toy les retirer.
Helas ! je le sçay bien, mais ma foible nature
Trouve pourtant, Seigneur, ceste ordonnance dure,
Et ne peut sur son mal d’appareil endurer.

Plaise-toy l’augmenter de force et de courage ;
Sers de guide à mes pas, fens l’ombre et le nuage,
Qui m’a faict esgarer si long-temps de mon bien,
Et surtout, ô bon Dieu, donne à mon impuissance
Ou moins de passions, ou plus de patience,
Afin que mon vouloir ne s’esloigne du tien.

Donne que les esprits de ceux que je soupire
N’esprouvent point, Seigneur, ta justice et ton ire ;
Rens-les purifiez par ton sang precieux,
Cancelle leurs pechez et leurs folles jeunesses,
Fay-leur part de ta grace, et, suivant tes promesses,
Ressuscite leurs corps et les mets dans les cieux.


SONNETS SPIRITUELS


I

Depuis le triste point de ma fresle naissance,
Et que dans le berceau, pleurant, je fu posé,
Quel jour marqué de blanc m’a tant favorisé
Que de l’ombre d’un bien j’aye eu la jouissance ?

À peine estoient seichez les pleurs de mon enfance,
Qu’au froid, au chaud, à l’eau, je me veis exposé,
D’Amour, de la fortune et des grands maistrisé,
Qui m’ont payé de vent pour toute récompense.

J’en suis fable du monde, et mes vers dispersez
Sont les signes piteux des maux que j’ay passez,
Quand tant de fiers tyrans ravageoyent mon courage.

Toy qui m’ostes le joug et me fais respirer,
Ô Seigneur ! pour jamais vueille-moy retirer
De la terre d’Égypte et d’un si dur servage.


II

Si la course annuelle en serpent retournée
Devance un trait volant par le ciel emporté,
Si la plus longue vie est moins qu’une journée,
Une heure, une minute, envers l’eternité ;

Que songes-tu, mon ame, en la terre enchaisnée ?
Quel appast tient ici ton desir arresté ?
Faveur, thresors, grandeurs, ne sont que vanité,
Trompans des fols mortels la race infortunée.