Ayes pitié, ayes pitié de moy !
Tu es mon tout, mon Seigneur et mon roy ;
Seul je t’invoque en ma plainte ordinaire.
Souvienne toy que tu m’as façonné,
D’os et de nerfs tu m’as environné ;
Donc, ô mon Dieu, ne me vueilles desfaire !
Si je ne suis qu’un bourbier amassé,
Tes mains pourtant, tes mains m’ont composé,
Tu m’as couvert de charnure et de veines :
Quand tu voudras, tu me feras dechoir
Comme la fleur qui flestrit sur le soir,
Et decouler comme l’eau des fontaines.
Desjà, Seigneur, desjà j’ay bien senti
Sur moy, chetif, ton bras appesanti ;
Je n’en puis plus, tant la rigueur me presse !
Un voile obscur me va bandant les yeux,
Mille remors m’agitent furieux,
Et ma vigueur d’heure en heure s’abaisse.
Soit que le jour se monstre en reluisant,
Soit que la nuict, toute chose appaisant,
Couvre la terre et guide le silence,
Las ! je ne puis, je ne puis reposer !
Et ma douleur, qui ne peut s’appaiser,
Redouble en force et croist sa violence.
Ton trait vengeur, contre moy décoché,
De son venin m’a cuit et desseiché ;
Il boit mon sang, il brusle mes entrailles ;
Je suis pressé par ton dur jugement
D’une frayeur et d’un estonnement,
Et sens au cœur mille rouges tenailles.
Si quelquefois je souhaite la nuit,
Pensant chasser le souci qui me suit
Et la fureur de mes peines terribles,
Las ! je n’ay clos les yeux pour sommeiller,
Que tout tremblant il me faut reveiller,
Espouventé de visions horribles.
Mes tristes jours coulent legerement,
Je n’atten rien qu’un obscur monument,
Je ne voy rien qui ne soit effroyable ;
Tout me desplaist, et suy si plein d’esmoy
Que mesme, helas ! je me fasche de moy,
Me cognoissant si pauvre et miserable.
Ô Seigneur Dieu, qui vois ma passion,
Ne me délaisse en ceste affliction !
Chasse ton ire, adoucis ton courage,
Vueille en douceur ta colere changer,
Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/589
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.