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Las ! j’ay bien raison de me plaindre !
Le malheur qui me faisoit craindre,
Comme en sursaut m’est advenu.

Ô que ma peine est excessive !
Est-il possible que je vive,
Si foible en si forte langueur ?
Seigneur, punisseur des offances,
On remarque ici tes vengeances
Et les forces de ta rigueur.

Hé quoy ! d’un courage adversaire
M’as-tu formé pour me desfaire,
M’ayant fait souffrir longuement ?
M’as-tu tiré de la matrice
Pour me reserver un supplice
Qui serve à tous d’estonnement ?

Le soleil, corps de la lumiere,
Six fois a fourni sa carriere
Depuis que ta cruelle main
Dessus moy s’est appesantie,
Et que ta fureur j’ay sentie,
Fureur d’un Dieu trop inhumain.

Pardonne-moy si je blaspheme ;
Quand je sens ta rigueur extreme,
Je ne sçauroy doux te nommer ;
Puis ma bouche, infecte d’ordure,
Qu’à peine, helas ! presque j’endure,
Ne sçauroit plus que blasphemer.

Purge-la, s’il te plaist, ô sire !
Afin qu’elle apprenne à bien dire,
Pour tes louanges reciter :
Car, si ta main ne la nettoye,
Certes, Seigneur, je ne sçauroye
Que maudire et me despiter.

Alors que ton courroux me presse,
Tant de cris vers le ciel je dresse,
Qu’on voit l’air d’horreur se troubler ;
Je maudi la celeste grace,
Et voudroy que ceste grand’ masse
Se renversast pour m’accabler.

Pourquoy permet ta rigueur forte
Que la rage ainsi me transporte ?
Car si tu es pere de tous,
Je suis ton fils, et toy mon pere ;
À ton fils donc, en ta colere,
Use d’un chastiment plus doux.

Si ma parole est trop cuisante,