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Donc que l’an change en saisons differantes,
Je seray ferme et mes plaintes constantes ;
Et, quand le ciel sera plus clair de flame,
Tousjours le dueil obscurcira mon ame.


COMPLAINTE POUR LE ROI HENRI III


ESTANT À FONTAINEBLEAU, LIEU DE SA NAISSANCE


Lieux de moy tant aimez, si doux à ma naissance,
Rochers, qui des saisons dédaignez l’inconstance,
Francs de tout changement ;
Effroyables deserts, et vous, bois solitaires,
Pour la derniere fois soyez les secretaires
De mon dueil vehement.

Je ne suis plus celuy dont la grace et la veuë
Rendoit ceste contrée en tout tans si pourveuë
D’amours et de plaisirs ;
Qui donnoit à ces eaux un si plaisant murmure,
Tant d’émail à ces prez, aux bois tant de verdure,
Aux cœurs tant de desirs.

Ma fortune amiable a tourné son visage,
Mon air calme et serain n’est plus rien qu’un orage
D’ennuis et de malheurs ;
Mes jours les plus luisans sont changez en tenebres,
Et mes chants de victoire en complaintes funebres,
Mes plaisirs en douleurs.

Quand j’approche de vous, belles fleurs printanières
Vostre teint se flestrist, les prochaines rivieres
Cherchent d’autres destours :
Je fay tarir l’humeur de ces fontaines claires,
Qui craint que de mes yeux les sources mortuaires
Ne profanent son cours.

Pleust au ciel, dont les loix me sont si rigoureuses,
Que je fusse entre vous, ô grand’s masses pierreuses !
Un rocher endurcy ;
On dit qu’une Thebaine y fut jadis changée ;
Hé ! pourquoy ne fait donc mon angoisse enragée
Que je le sois aussi !

Helas ! je le suis bien : car se pourroit-il faire,
Si j’avoy d’un mortel la nature ordinaire,
Que je peusse porter
Si long-tans les efforts des ennuys et des peines ?
Non, je suis un rocher, dont on voit cent fontaines
Nuit et jour degouter.