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La nuict m’est jour, mon repos c’est ma paine,
Que j’aime mieux plus elle est inhumaine.

Ô pauvre corps ! jusqu’à quelle journée
Retiendras-tu mon ame emprisonnée
En tant de fers, la gardant qu’elle volle
Apres son bien, dont l’espoir me console ?

La seule mort a causé ma tristesse,
La seule mort y pourra mettre cesse,
Ne m’empeschant plus longuement de suivre
Cet autre moy, pour qui j’aimois à vivre.

Toute douceur de mon ame est bannie,
Je me consomme en langueur infinie,
Le ciel me fasche et rien ne peut me plaire
Que de mon mal la memoire ordinaire.

Fier accident que sans fin j’imagine !
Las ! qui l’eust creu ! qu’une grace divine,
Un port céleste, une beauté parfaite
Si prontement par la mort fust desfaite ?

Mais c’est l’erreur des œuvres de nature ;
Long-tans le beau sur la terre ne dure,
Le ciel jaloux aussi-tôt l’en retire,
Afin qu’en haut nos pensers il attire.

L’humaine vie à bon droit se compare
Aux vaines fleurs dont le printans se pare,
Au froid d’esté, au maillage d’automne,
Et au soleil quand l’hyver il rayonne.

Ta gloire, Amour, de tout point est tombée ;
La fiere mort ta trousse a desrobée,
Rompu tes traits, dont ma playe est sortie,
Brisé ton arc et ta flamme amortie.

Ne vante plus ta puissance indontée ;
Toute victoire à ce coup t’est ostée.
C’est maintenant qu’aveugle on te peut dire,
Ayant perdu l’astre de ton empire.

Ô triste avril ! à grand tort on t’appelle
Du plaisant nom d’Aphrodite la belle,
Mere d’Amour, par qui tout prend naissance,
Puis qu’en mon cœur tu meurtris l’esperance.

Las ! que me sert ta saison tant aimée,
Qui le printans est des autres nommée,
Si pour serain ou pour chaleur qu’il face,
Je ne sens rien que nuages et glace ?

Champs, prez et bois prennent tous couleur verte,
Seul par le noir je tesmoigne ma perte,
Et n’ay pour fleurs, en mon ame amassées,
Que soucy double et fascheuses pensées.