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Il falloit pour carquois une bourse lui pendre,
L’habiller de clinquans, et lui faire répandre
Rubis à pleines mains, perles et diamans.

Ainsi rien ne troublait la lucidité de son esprit ou le calme de son âme. Il dominait les événements, flairait les piéges et savait toujours se rendre aussi heureux que possible. Un de ses amis intimes, Jacques de Montereul, a parfaitement décrit son invariable sérénité :

L’âge l’y convient, guidé par la raison,
Il changea doucement la cour à sa maison,
Port de félicité aux autres non commune.
Jamais homme n’usa des biens de la fortune
Sagement comme lui. Tranquillité d’esprit,
Dont on a tant parlé, dont on a tant écrit,
Que chacun cherche tant, que personne ne treuve,
Vrai nectar qui rend dieux les mortels qu’il abreuve,
Douce paix à notre âme, à bon droit avois-tu
Choisi pour ta demeure une si grand’ vertu.
Jusqu’au dernier soupir, cette compagne chère
Ne l’abandonna point ; avec elle sa mère,
La bonne conscience, étoit à son côté.

Ses Psaumes, dont il avait publié une soixantaine à Paris, chez Mamert Patisson, dès 1592 et pendant le siége même de Rouen[1], furent terminés en 1595 : on les réimprima en 1598 et 1604[2]. Du Radier vante beaucoup l’exactitude de la version ; je ne le contredirai pas, mais le style ne mérite certainement aucun éloge. Avec la meilleure volonté du monde, je n’ai pu découvrir une strophe élégante ou remarquable dans tout le volume. L’âge avait de bonne heure répandu ses ombres sur le talent du poëte et rassemblé autour de lui ses brouillards. Ses amis, ses protégés, ses connaissances, flattèrent ses oreilles de leur complaisante approbation ; de Thou, dans son Histoire universelle, Tessier, Sainte-Marthe, exagèrent la valeur de ces stances caduques. D’autres murmurèrent tout bas un jugement plus vrai, comme Du Perron. Le hautain Malherbe exprime son avis d’une façon brutale.

Un jour qu’il dînait chez Desportes, avec le neveu de celui-ci, et que le potage se trouvait déjà sur la table, le vétéran lui parla de ses Psaumes et voulut lui en offrir un exemplaire. Comme il se disposait à l’aller chercher, le Normand l’arrêta tout court :

  1. Bibliothèque françoise, de l’abbé Goujet, t. XIV.
  2. Denis Caigniet, musicien du marquis de Villeroy, les mit en musique à plusieurs parties ; son travail fut imprimé chez Pierre Ballard, en 1607.