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Ma douleur s’envenime et devient si rebelle,
Que du tout je me lasche aux regrets esclatans.

En si piteux estat je despense mon tans,
Me paissant de mon cœur, qui sans fin renouvelle,
Depuis que des hauts cieux l’ordonnance cruelle
Des saisons de ma vie arracha le printans.

Tel amas de tristesse en mon ame s’assemble,
Que je n’y puis penser que d’horreur je ne tremble,
M’estonnant que mon cœur du fardeau n’est donté.

Ah ! despiteuse mort ! ah ! rigoureuse vie !
L’une a presque en naissant mon attente ravie,
L’autre icy me retient contre ma volonté.


IX

Puis-je bien tant souffrir mon ame estre captive,
Pouvant rompre d’un coup sa caduque prison ?
Fiere loy des destins, injuste et sans raison
De vouloir que par force un homme en terre vive.

Quel espoir desormais faut-il plus que je suive ?
J’ay veu secher mes fleurs en leur prime saison,
Le doux miel de mes jours se changer en poison,
Ma nef faire naufrage estant près de la rive.

Ô mort ! mon seul recours, qui t’esloignes de moy !
Las ! si je suis mortel et subject à ta loy,
Ne m’espargne donc plus et me mets de ton nombre.

La mort contre respond : « J’en ay fait mon devoir,
Mais sur les corps mortels seulement j’ay pouvoir,
Et ce qui fut ton corps n’est plus maintenant qu’ombre. »


COMPLAINTE

Contre le tans ma douleur se rend forte,
Et quand son cours toutes choses emporte,
Elle y resiste et prend ferme racine
Au lieu plus vif de ma triste poitrine.

Loin tout confort ! Au dueil qui me possede,
Conseil, raison, esperance et remede,
Comme ennemis mon esprit vous rejette,
Car son angoisse à vos lois n’est subjette.

De mes amis qu’un seul ne s’advanture
A me parler fors d’une sepulture,
De sang, de mort, d’ombres noires et faintes,
D’effroy, de cris, de soupirs et de plaintes.

Toute lumiere est horrible à ma veuë,
Rien ne me plaist que l’ennuy qui me tuë :