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Las de pleurer, de vivre et d’estre miserable,
J’abandonne la terre et vole aupres de toy[1].


VI

Vante-toy maintenant, outrageuse deesse,
D’avoir fait tout l’effort de ta plus grand’ rigueur,
Privant Amour de traits, d’allegresse mon cœur,
La terre d’ornement, de gloire et de richesse.

On ne sçait plus que c’est de vertu ny d’adresse,
L’honneur triste languit sans force et sans vigueur ;
Bref, de cent deïtez ton bras s’est fait vainqueur,
Morte gist la beauté, la grace et la jeunesse.

L’air, la terre et les eaux cet outrage ont pleuré,
Le monde, en la perdant, sans lustre est demeuré,
Comme un pré sans couleurs, un bois sans robe verte.

Tandis qu’il en jouit, il ne la connut pas ;
Moy seul je la connus, qui la pleure icy-bas,
Cependant que le ciel s’enrichit de ma perte.


VII

Avec un si beau nœu l’Amour m’avoit contraint,
Qu’encor qu’il soit rompu j’en sens tousjours l’estrainte ;
Il m’avoit embrasé d’une flamme si sainte,
Que, quand elle defaut, ma chaleur ne s’estaint.

Jamais plus, ô mon cœur, tu ne seras attaint !
Je me suis despouillé d’esperance et de crainte.
Contre un aveugle enfant je ne fay plus de plainte
La mort, et non l’Amour, a fait pallir mon taint.

La constance et la foy, de moy tant reverée,
Plus ferme que jamais au cœur m’est demeurée,
Qui destourne bien loin toute autre passion.

Que la mort donc se vante, ayant frappé ma dame,
Qu’elle a tranché d’un coup, dans une seule trame,
La beauté de ce monde et mon affection.


VIII

Tout le jour mes deux yeux sont de pleurs degoutans,
Puis, quand la nuit paisible au repos nous appelle,

  1. Imité d’un sonnet italien qui débute ainsi :

    Come de dense nubi esce talhora
    Lucido lampo, e via ratto sparisce,
    Cosi l’ alma gentil, per cui languisce
    Amor, s’usci del suo bel corpo fora.