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Qui, des yeux et du cœur maintes larmes sortans,
S’arrachent les cheveux et sanglottent sur elle.

Quand le bandeau fatal ses beautez nous voila,
Amour, rompant son arc, d’entre nous s’envola,
Laissant ceste province en discorde et en guerre.

Le ciel, comme l’on dit, la voulut retirer,
Pour apprendre aux mortels, trop pronts à s’égarer,
Que la beauté parfaite est ailleurs qu’en la terre[1].


IV

Ce cœur, qui t’aima tant et qui fut tant aimé
De toy, chere Phyllis, sera ta sepulture ;
Le plus riche tresor du ciel et de nature
Dans un moindre tombeau ne doit estre enfermé.

Mon œil, par ton trespas en ruisseau transformé,
Ne voit plus d’autre object que ta douce peinture.
Helas ! pourquoy du ciel n’ay-je égale advanture
Au sculpteur qui rendit son ouvrage animé ?

Si le chaud et l’humeur sont causes de la vie,
J’espere encor un jour l’effet de mon envie
Par tant d’eaux et de feu que je pousse dehors.

Mes yeux versent l’humeur, mon estomach la flame,
Et puis pour t’inspirer, il ne faut que mon ame :
Nous n’en eusmes jamais qu’une seule en deux corps.


V

Comme on void parmy l’air un esclair radieux
Glisser subtilement et se perdre en la nuë,
Ceste ame heureuse et sainte, aux mortels inconnuë,
Coula d’un jeune cœur pour s’envoler aux cieux.

Mon penser la suivit, au defaut de mes yeux,
Jusqu’aux voûtes du ciel tout clair de sa venuë,
Et voit qu’en tant de gloire où elle est retenuë,
Elle a dueil que je sois encor en ces bas lieux.

Mais tu n’y seras guere, ô deesse ! à m’attendre,
Car je n’estois resté que pour cueillir ta cendre,
Et ta memoire sainte orner comme je doy ;

Maintenant que j’ay fait ce devoir pitoyable,

  1. Imité d’un sonnet italien qui débute par ces vers :

    O d’ humana beltà caduchi fiori !
    Ecco una, à cui ne questa mai, ne quella
    Fù pari al mondo ; è gia morta, e con ella
    Tien sepolti d’ amor tanti tesori !