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Puis que je perds les yeux, qui m’ont rendu si craint. »
Les amis de Daphnis aux regrets s’abandonnent,
L’air se fend à leurs cris, les hauts cieux en resonnent.
Seul, je ne pleure point, ô chetif[1] que je suis !
Si c’est que la douleur tout en rocher m’enserre,
Niobe, ainsi que moy, fut bien changée en pierre,
Et ne laisse pourtant de pleurer ses ennuis.


DE L’ANNÉE MDLXX


Je te dois bien hayr, malencontreuse année,
Qui m’as, durant ton cours, tant de maux fait avoir,
Et tant d’ennuis divers sur mon chef fait pleuvoir,
Que j’en laisse ma vie au dueil abandonnée.
Le jour que commença ta course infortunée,
Je fus remis captif sous l’amoureux pouvoir,
Où j’eu mille douleurs pour cacher mon vouloir,
Et receler ma playe au cœur enracinée.
J’avois un seul amy, sage, heureux et parfait,
La mort en son printans sans pitié l’a desfait,
Comblant mes yeux de pleurs et mon ame de rage.
Depuis je fus six mois dans un lict languissant,
Et or’ pour m’achever, quand tu vas finissant,
Je trouve que ma dame a changé de courage.


AUX OMBRES DE C. DE L’AUBESPINE


SECRETAIRE DES COMMANDEMENS
[2]

Pensant à toy, j’ay finy cet ouvrage,
Cher l’Aubespine, heureux ange des cieux,
Et ce penser tiroit de mes deux yeux
Des pleurs amers, roulans sur mon visage,
Tandis la fievre envenimoit sa rage
Au suc mortel de mon dueil ennuyeux,
Pour tourmenter d’un bras plus furieux
Mes sens troublez et faillis de courage.
Depuis six mois que tu partis d’icy,
Hoste d’un lict, je languy sans mercy,
Criant sans cesse à Dieu qu’il me delivre ;
Non, qu’il octroye à mon corps guarison,
Mais que l’esprit franc de cette prison,
Oyseau leger, au ciel te puisse suivre.


  1. Malheureux. Ces cinq pièces traduites ont rapport aux mignons de Henri III.
  2. Voyez l’introduction.