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Car je pourrois servir d’aimable sepulture
A celuy dont la mort ne me peut separer.


II


Ô bien-heureux esprits, nouveaux anges des cieux,
Le seul ardant desir de mon cœur miserable,
Dont la memoire sainte est en moy si durable,
Que tousjours je vous porte en l’esprit et aux yeux,

Si de la vraye amour rien n’est victorieux,
Et que nostre amitié n’en eut onc de semblable,
Tournez vers moy la veuë et douce et favorable,
Et ne m’abandonnez sans guide en ces bas lieux.

Voyez-moy tout en pleurs sur vostre sepulture,
Qui plains, non vostre mal, mais ma triste advanture,
Laissé seul icy-bas, de miseres remply.

N’endurez plus long-tans mon ame estre captive,
Mais impetrez du ciel que bientost je vous suive,
Puis que mon heur sans vous ne peut estre accomply.


III


Pour faire une guirlande à son chef blondissant
La soigneuse pucelle, à qui le cœur soupire
Du plaisant mal d’amour, cueille au mois de zephire
La rose apres l’œillet, puis le lys blanchissant.

Ainsi la pronte main du monarque puissant,
Qui de tout l’univers a borné son empire,
Pour couronner son chef, trois lumieres retire,
Qui rendoient nostre siecle heureux et florissant.

France, qui, tousjours folle, est sanglante et couverte
Du massacre des siens, ne fist onc tant de perte,
Ni le ciel tant de gain qu’au jour de leur trespas.

Le soleil n’a depuis rien veu qui leur ressemble,
C’estoit trois jeunes Mars et trois Amours ensemble,
Qui, sous l’habit mortel, conversoient icy-bas.


IV


Daphnis gisoit au lict mortellement attaint,
Daphnis, l’heur de nostre âge et sa gloire premiere,
Son œil, jadis si clair, defailloit de lumiere,
Comme un ray du soleil, qui la nuict se destaint.

Amour, sur son chevet, se tourmente et se plaint,
Nommant les cieux cruels et la Parque meurtriere ;
« Que ceste mort, dit-il, soit mon heure derniere,