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L’Aubespine l’avoit, l’Aubespine, ornement
De ce siecle maudit, ingrat et miserable.

Il estoit grand et beau, dispos, jeune, amiable,
Riche en biens, aux honneurs avancé justement,
Pur, sans ambition, qui marchoit droitement,
Tres-fidelle à son prince et aux bons secourable.

Le ciel, qui l’avoit fait, craignant de l’offenser,
Icy-bas longuement ne l’a voulu laisser
Dans un pays de sang, de meurtres et de guerre ;

Mais, amoureux de luy comme un pere tres-doux,
En l’avril de sa vie il l’a cueilly de terre,
Et en a fait un dieu qui aura soin de nous.


DE LUY-MESME


Si les dieux par pitié se fussent peu fléchir,
Ils n’eussent de ce corps si-tost l’ame enlevée ;
Mais le ciel ne pouvoit de l’esprit s’enrichir.
Sans que l’indigne terre en demeurast privée.


DE LUY-MESME


L’Aubespine, mourant aux beaux jours de son âge,
Et le bandeau fatal couvrant ses yeux estaints,
La France en soupiroit, l’air resonnoit de plaints
Et la mort despitoit son malheureux ouvrage.

Comme il est arrivé jusqu’au dernier passage,
L’esprit sain departant de ses membres mal-sains,
Joyeux, il leve au ciel et la veuë et les mains,
Et fist ouïr ces mots avec un doux langage :

« Seigneur, tu me prens jeune, et je meurs nonobstant
Sans regretter le monde, heureusement contant,
Veu les longues erreurs et l’abus qu’il enserre.

« Loüange à ta bonté, qui prend de moy soucy,
Donnant cesse à ma peine. » Et finissant ainsi,
Rendit son ame au ciel et son corps à la terre.


Autour de mon esprit, qui jamais ne repose,
Jour et nuit vont errant effroyables tombeaux,
Convois, habits de dueil, mortuaires flambeaux ;
La porte de mes sens ne reçoit autre chose.

Helas ! que le destin injustement dispose
Des ouvrages mortels plus parfaits et plus beaux !
Tuant les rossignols, il laisse les corbeaux ;
Espargnant les buissons, il moissonne la rose.