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Car la mort qui doutoit l’effort de ma science,

Ainsi que je prenoy sobrement mon repas,
Me print en trahison, sain et sans desfiance,
Ne me donnant loisir de penser au trespas.


DE DAMOISELLE JEANNE DE LOYNES

POUR M. SOREAU, SON MARY


Helas ! ciel inhumain, et toy, dur monument,
Vous avez entre vous partagé ma richesse !
L’un a ravy l’esprit de ma chere maistresse,
L’autre enserré son corps qui luy sert d’ornement.

Desolé que je suis ! pour tout allegement
Mes yeux noircis de pleurs en ces deux parts je dresse.
Or’ je les leve au ciel, et or’ je les abbaisse
Vers ce lieu qui retient mon seul contentement.

Las ! si mes justes cris se peuvent faire entendre,
Puis que mon cher thresor vous ne voulez me rendre,
Ciel et tombeau, de grâce, octroyez-moy ce bien :

Ciel, ravis mon esprit comme cil de ma dame,
Assemble-les ensemble, et toy, cruelle lame,
Sers de tombe à mon corps comme tu fais au sien.


DE MADAME MARGUERITE

DUCHESSE DE SAVOYE[1]


Tu nous veux perdre, ô Dieu plein de vengeance !
Tu nous veux perdre, et ton cœur despité
Comme un torrent respand sa cruauté,
Noyant du tout nostre foible esperance.

Il ne restoit rien d’entier de la France,
De pur, de saint, d’une antique bonté,
Que Marguerite, humaine deïté,
Et ta rigueur couvre cette influance.

  1. Fille de François Ier, morte à Turin en 1574, « au grand regret du duc et de tous les gens de bien, dit l’Estoile. Entre ses perfections, elle estoit tellement craignant Dieu, poursuit-il, et revêtue d’une si héroïque charité, que, s’estans quelquefois rencontrés des gentilshommes françois qui, se trouvans en nécessité, la faisoient prier de leur vouloir prester de l’argent, non-seulement leur en donnoit plus qu’ils ne demandoient, mais les consoloit et leur disoit : « Je vous donne de bon cœur ce que vous m’avez demandé à prester, car je suis fille de roys si grands et si libéraux, qu’ils m’ont appris, non à prester, mais à donner liberalement. »