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L’AURORE.

Fille du chaos solitaire,
En ce lieu que penses-tu faire
Avec ces larveux appareils ?
Si Phebus d’un regard te chasse,
Comment pourras-tu trouver place
Parmy tant de plus beaux soleils ?

Mere des soucys et des craintes,
Fuy d’icy, ramene tes faintes,
Et tous ces fantosmes defaits ;
Retourne en tes demeures sombres,
Sans plus receler sous tes ombres
L’honneur des chevaliers parfaits.


POUR DES CHEVALIERS PORTANT DES TESTES D’HYDRE


L’HYDRE D’AMOUR.

À quoy se peuvent mieux nos desirs comparer
Et les tourmens divers qu’on nous fait endurer,
Qu’au serpent merveilleux dont Lerne estoit couverte,
Qui plus estoit blessé, plus ses forces croissoient ?
Car pour un chef coupé sept autres luy naissoient,
Trouvant vie en sa playe et profit en sa perte.

Par sentence des cieux, Amour, cruel serpent,
Nourri dedans nos cœurs s’y traine et va rampant :
Pour un chef qu’on luy trenche, on en voit sept renaistre ;
Traitement rigoureux, travail, peine et langueur,
Au lieu de l’affoiblir maintiennent sa vigueur.
Ce qui deust le tuer le conserve en son estre.

Plus fertile qu’un hydre, il produit des tourmens,
Des fureurs, des regrets, des soucis vehemens,
Et non point sept à sept, ains sans nombre et sans conte.
Si l’espoir favorable en a tranché quelqu’un,
Mille et mille à l’instant en renaissent pour un ;
Il n’y a ny rigueur ny douceur qui les donte.

Quel secourable Hercule, à nostre aide arrivant,
Pourra faire mourir un serpent si vivant,
Et de l’hydre d’Amour delivrera nos ames ?
Las ! pour nostre secours peu vaudra son effort,
Puis qu’avecques du feu l’Hydre fut mis à mort,
Quand le nostre au contraire est nourry dans les flames !