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CARTEL POUR MONSIEUR LE DUC DU MAINE ET SA TROUPE


SUR LA MORT D’AMOUR


Ce dueil que nous portons aux habits et aux ames,
N’est pour nos parens morts, nos amis ou nos femmes,
Plus juste occasion noircist nos vestemens :
C’est pour la mort d’Amour jadis tant redoutable,
Que la race mortelle, ingrate et miserable
Par force a fait mourir mille et mille tourmens.

Luy qui fut un démon nompareil en puissance,
Apres avoir long-tans fait au mal resistance
(Les démons de tout point immortels ne sont pas),
En fin a veu sa vie esteinte et consumée,
Non d’un coup de pistole au milieu d’une armée :
La feinte et l’inconstance ont causé son trespas.

Tout ainsi comme un corps fort et sain de nature,
S’alterant à la longue en sa temperature,
Se voit de maux divers l’un sur l’autre assaillir ;
Or’ il se plaint d’un bras, or’ d’une autre partie,
Tant qu’il sente d’un coup sa puissance amortie,
Et luy faille à la fin tout entier defaillir.

Ainsi de ce démon la deïté connuë,
Ayant tant de saisons sa vigueur maintenuë,
Tousjours plein de jeunesse, entier, pur, sain et beau,
À la fin peu à peu dans luy se sont glissées
Les infidelitez, les legeres pensées,
La feinte et le mespris qui l’ont mis au tombeau.

Nous trois fumes presens à ce piteux office,
Detestant la fureur de l’humaine malice,
Mere des changemens qui le faisoient perir.
Nous l’eussions bien voulu racheter de nous-mesmes,
Mais nos cris furent vains, nostre aide et nos blasphemes
Tout remede en ce tans ne l’eust peu secourir.

Or, comme cet Amour fut mis en sepulture,
Un volage desir de mauvaise nature,
Double, fardé, trompeur, parjure et mensonger,
Se fist son successeur par méchantes cautelles ;
Mais du deffunt Amour il n’a rien que les ailes,
Pour voler en tous lieux comme oiseau passager.

C’est luy qui maintenant du nom d’Amour s’honore,
Qui commande en sa place et que le peuple adore,
C’est le prince et le dieu des amans de ce tans
C’est luy qui verse aux cœurs tant de durables flammes,