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ment à calmer le fougueux amiral[1]. Le consentement du Béarnais étant arrivé enfin, on dressa un traité dans les règles, et il fut convenu que Henri IV ferait une entrée solennelle à Rouen, après avoir pris possession de la capitale. Sully se hâta de l’aller rejoindre, pour franchir avec lui les barrières.

Avant de s’y installer officiellement, le Bourbon était déjà maître de Paris. Le duc de Mayenne avait dû fuir à Soissons, et le parti royaliste dominait dans la ville. Aussi le 18 mars 1594, le prince envoya-t-il le frère de Desportes saisir tous les meubles que le duc avait laissés derrière lui : le sieur de Bévilliers, muni d’un bon passe-port, enleva jusqu’aux petits tableaux et menues hardes. Il en fut récompensé libéralement par le souverain, qui lui donna commission d’aller remontrer au duc de Mayenne qu’il devrait cesser la lutte et ne pas se faire ensevelir sous les ruines de la France. Cette note de l’Estoile[2] provoque la curiosité. On se demande si Thibaut Desportes avait, contrairement à son frère, ceint l’écharpe royaliste dès les débuts, ou si le poëte l’avait expédié sous les murs de Paris, comme un agent fidèle, pour soigner ses intérêts. On aperçoit ou on devine une finesse dans toutes les actions du madré politique.

Le 22 mars, le roi entrait à Paris. Bientôt après Villars proclama son autorité sur la grande place de Rouen, au son de toutes les cloches, au bruit d’une imposante canonnade. Une lettre du roi, où il le nommait son cousin, le pressait de venir à la cour. Mais le fier capitaine ne voulant y paraître qu’en grande pompe, ses apprêts retardèrent son voyage. Il se rendit enfin au Louvre, emmenant avec lui plus de cent gentilshommes, dont quelques-uns appartenaient à la première noblesse de France, et il éclipsa tous les autres seigneurs. Pour ses bons offices, Desportes obtint une grasse abbaye et plusieurs autres dons[3]. Il ne se laissait jamais oublier.

Il ne fit qu’une perte, mais elle l’attrista sans doute fort peu. Madame de Simiers, voyant la splendeur de l’amiral, lui donna décidément la préférence. Elle le brouilla même avec Desportes, en lui disant à l’oreille que, si on les voyait toujours ensemble, on le croirait mené par lui et le jugerait même incapable de rien faire sans le malin abbé. Ses cajoleries, ses manières vives et piquantes, son entretien spirituel, poussèrent jusqu’à l’exaltation l’amour de son impétueux chevalier. Mais ce triomphe ne

  1. On peut lire dans Sully toute cette longue histoire.
  2. Journal de Henri IV, année 1594.
  3. Palma Cayet, Chronologie novenaire.