Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est fils de Cerbere, et jeune il a teté
Le sang d’une Furie.

De libre que j’estois il m’a mis en prison,
Il a chassé bien loin la divine raison,
Qui conduisoit mon ame ;
Il a rendu mes yeux ennemis de mon cœur ;
J’estois homme de chair, et or’ par sa rigueur
Je suis homme de flame.

Ah ! prez où je prenois tant de contentement,
Je sens en vous voyant, dans mon entendement,
Mille nouvelles bresches !
Las ! vous me souliez plaire et vous me tourmentez ;
Vostre verd m’est obscur et vos douces beautez
Me semblent toutes seches.

Ô vie heureuse et libre ! ô mon plaisir passé !
Hé ! pourquoy si soudain m’avez-vous delaissé
D’une fuite inconnuë ?
Et vous, chefs desolez de ma calamité,
Dites, mes tristes yeux, où est ma liberté ?
Qu’est-elle devenuë ?

Or’ mon pauvre troupeau gist maigre et languissant,
Sans boire et sans manger, bellant et gemissant
Pour l’ennuy que je porte ;
Mon chalumeau n’est plus dans ces bois entendu,
Et mon triste rebec est demeuré pendu
À ceste branche morte.

Las ! ils ne sont pas seuls qui plaignent mon malheur :
Les rochers l’ont pleuré, les oyseaux de douleur
En ont fait mille plaintes ;
Pan mesme en a gemy, ayant la larme à l’œil,
Et les nymphes des bois en ont porté le dueil,
De tristesse contraintes.

Mais qui me fait rentrer en ce dur souvenir,
Qui rafraîchit ma playe et sert d’entretenir
Mon rigoureux martire ?
Quoy ! mon cœur, d’endurer n’es-tu donc pas lassé ?
Et toy, mon triste esprit, l’ennuy que j’ay passé
Te doit-il pas suffire ?



___________