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Mais, si tost que je pense à ce malheureux jour,
Je sens renouveler la douleur que j’endure :
Je reconnoy cette basse valée,
Où quelquefois, à l’écart reculée,
J’entretenoy mon ame
En l’amoureuse flame,
Par un penser dont j’estoy consolée,
Et disois en mon cœur, sans qu’on me peust entandre :
Helas ! douce riviere, où est mon cher Philandre ?

Voilà le clair ruisseau si souëfvement coulant,
Où, pour passer le chaud du soleil violant,
Je souloy demeurer sur l’herbage estenduë,
De mon fidelle amant bien souvent attenduë.
Las ! tout est bien icy ! les bois delicieux,
Les costeaux, les buissons et les prez gracieux :
Je voy le clair ruisseau, j’enten son doux murmure.
Mais les voyant, sans voir le soleil de mes yeux,
Je sens renouveler la douleur que j’endure.
Aucunes fois mon ame je contente,
Car, la trompant, je me le represente
Dedans cette prairie.
Ô douce tromperie,
Qui mes esprits heureusement enchante !
Mais presque aussi soudain mon mal me vient reprandre.
Helas ! douce riviere, où est mon cher Philandre ?

Bien souvent je l’appelle en criant dans ce bois,
Mais rien, sinon Echo, ne respond à ma voix,
Dont je meurs de douleur, s’il advient que je panse
Qu’il ne me respond point faute de souvenance,
Ou que quelque autre amour son cœur a fait changer.
Lors, pleine de fureur, me pensant bien vanger,
Je l’appelle infidelle, inconstant et parjure,
Et dis en sanglottant : Helas ! cruel berger,
Regarde à tout le moins la douleur que j’endure !
Mais tout soudain ma triste fantasie
Avec raison perd cette jalousie,
Car sa foy trop louable
Est constante et durable,
Et d’autre ardeur son ame n’est saisie ;
Car son cœur est à moy, nulle n’y peut pretandre.
Helas ! douce riviere, où est mon cher Philandre ?

Quand je suis en ces lieux, je n’y fay que penser,
Qu’esgarer mon esprit, songer et ravasser,