Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Doit tenir vostre esprit contant.
— Je ne puis que je n’aye crainte
De perdre ce que j’aime tant.

— Auriez-vous beaucoup de tristesse,
S’il venoit à changer de foy ?
— Tout autant que j’ay de liesse,
Sçachant bien qu’il n’aime que moy.

— Quel est le mal qui vous offence,
Attendant ce département ?
— Tel que d’un qui a eu sentence
Et attend la mort seulement.

— Quoy ? vous pensez doncques, à l’heure
Qu’il s’en ira, mourir d’ennuy ?
— Il ne se peut que je ne meure,
Mon esprit s’en va quand et luy.

— Si tel accident vous arrive,
Vostre amour ne durera pas.
— La vraye amour est tousjours vive
Et ne meurt point par le trespas.


COMPLAINTE


Cherchez, mes tristes yeux, cherchez de tous costez,
Vous ne trouverez point ce que vous souhaitez,
Vous ne verrez plus rien qui vous soit agreable ;
Et vous, riches thresors du printans desirable,
Ô prez ! temoins secrets de mon contentemant,
Où pleine de desir j’attendoy mon amant,
Accusant quelquefois sa trop longue demeure,
Las ! portez le regret de son esloignement,
Et plaignez de pitié la douleur que j’endure !
Ce fut icy qu’il me dist sa pensée,
Dont je feigny me sentir offensée,
L’appelant temeraire ;
Mais ma feinte colere,
Voyant ses pleurs, fut bien soudain passée.
Car eussé-je voulu contre Amour me deffandre ?
Helas ! douce riviere, où est mon cher Philandre ?

Voicy bien tous les lieux où je le souloy voir,
Quand au commencement Amour par son pouvoir
Rangea mon ame libre en son obeïssance.
J’eu près de ce buisson sa premiere accointance,
Et senty dans mon cœur la sagette d’Amour,
Qui perça le rocher que j’avois à l’entour,
Et le chaste rempart de ma poitrine dure.