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qu’on entrerait le lendemain en conférences. Mais, le soir même, le malin poëte arriva chez le duc : il lui apprit que son absence avait failli tout perdre. Un envoyé de l’Espagne et un émissaire de la Ligue étaient venus faire des propositions au commandant. Il y aurait peut-être cédé, si des lettres fort vives n’eussent exercé une influence contraire, l’une écrite par le cardinal de Bourbon au gouverneur ; l’autre par le marquis de Vitry à madame de Simiers, sa sœur ; la troisième par l’évêque d’Évreux, du Perron, au courtois diplomate qui l’avait lancé dans la carrière. Le prélat ne lui parlait qu’avec un ton d’extrême déférence ; nos lecteurs, l’ayant vu débuter sous le patronage de Desportes, n’en seront point surpris. L’abbé montra ces pièces au duc, le mit en garde contre les emportements de Villars, prépara le succès de l’entrevue par d’habiles conseils.

Sully trouva le rude capitaine moins bien disposé que la première fois. Mais il ne tint pas compte de ses airs superbes et alla droit au fait. Le commandant exigea pour lui la dignité d’amiral, que lui avait octroyée l’Union catholique ; le gouvernement de Rouen, de son bailliage et du pays de Caux, sans être soumis à l’autorité du gouverneur de la province ; une somme de cent vingt mille livres et une pension annuelle de soixante mille ; la restitution de Fécamp, livré aux huguenots par Bois-Rozé, qui l’avait conquis pour la Ligue avec une audace prodigieuse, mais que l’ingratitude de Villars lui-même avait jeté dans le parti contraire. Enfin, le vaillant lutteur demandait que l’on mît à sa disposition les abbayes de Jumiéges, Tiron, Bonport, la Valace, Saint-Taurin et Montiviliers. La dernière devait enrichir une sœur de sa maîtresse. Tiron et Bonport revenaient de droit à l’ancien titulaire, qu’on en avait dépouillé. Villars comptait sans doute lui offrir les trois autres monastères, pour le dédommager des bénéfices saisis par les ligueurs, que les propriétaires actuels ne voulaient point rendre.

Comme le duc de Montpensier, gouverneur de Normandie, avait droit de juridiction sur le bailliage et la ville de Rouen, sur le pays de Caux, et ne pouvait en être dépossédé sans son aveu ; comme la dignité d’amiral appartenait au duc de Biron et que Fécamp avait été remis entre ses mains, le secrétaire d’État se vit obliger d’interrompre la négociation. Le prince devait être consulté sur ces articles. Pendant que l’on attendait sa décision, une foule de contre-temps et de manœuvres faillirent encore annuler ce travail de Pénélope. Un des meneurs fut même pendu à une croisée de l’hôtel qu’habitait Villars. Il fallait que Desportes, madame de Simiers, Lafont, travaillassent perpétuelle-