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Pour revoir ta jeune saison
Il faudroit les arts de Medée.

Las ! helas ! que sont devenus
Tant d’Amours et tant de Venus,
Qui troubloient mon ame charmée ?
Chauds regards, propos ravisseurs,
Feints soupirs, poignantes douceurs,
Tous ces feux sont moins que fumée.

Apres Jane, unique en beauté,
Le nom de Lyce estoit vanté ;
Mais Jane avoit l’ame naïsve,
Et n’aymoit point à decevoir,
Où Lyce tousjours s’est fait voir
Mauvaise, inconstante et lascive.

C’est pourquoy les destins amis
Peu de jours à Jane ont permis,
Et l’ont d’entre nous retirée,
Avant que sa jeune vigueur
De l’age esprouvast la rigueur,
Et mille amans l’ont soupirée.

Mais les dieux qui ne t’ayment pas,
Lyce, te font vivre icy bas
Autant qu’une vieille corneille ;
Afin que l’amant, s’effroyant,
Voye sa faute en te voyant,
Surpris de honte et de merveille.


DIALOGUE


— Que ferez-vous, dites, madame,
Perdant un si fidelle amant ?
— Ce que peut faire un corps sans ame,
Sans yeux, sans pouls, sans mouvement.

— N’en aurez-vous plus souvenance
Apres ce rigoureux depart ?
— Au cœur qui oublie en absance,
L’amour n’a jamais eu de part.

— De tant d’ennuis qui vous font guerre,
Lequel vous donne plus de peur ?
— La crainte qu’en changeant de terre,
Il puisse aussi changer de cœur.

— N’usez jamais de ce langage,
A sa foy vous faites grand tort.
— C’est un evident témoignage
Pour monstrer que j’aime bien fort.

— Son amour si ferme et si sainte