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Mes nerfs sont tous retraits, mes dents se font la guerre
D’un choc continuel, et toute ma chaleur
Au cœur est devalée,
Et commence desjà, comme aussi fait mon cœur,
À se faire gelée.

Helas ! aveugle Amour, où est ton grand pouvoir ?
Où est ce feu divin qui peut tout esmouvoir,
Qui des plus puissans dieux fait bouillir la poitrine,
Qui brûle les enfers, la terre et la marine ?
J’estimoy que ton feu feroit à ma froideur
Abandonner la place ;
Mais ce froid au contraire a changé ton ardeur
Et tous tes traits en glace.


IMITATION D’HORACE

AUDIVERE, LYSE, DII MEA VOTA

En fin mes vœux sont exaucez,
Lyce ; tes beaux jours sont passez,
Tu deviens laide et contrefaite.
Le temps ton visage a changé,
Et, ce qui me rend mieux vangé,
Tu fais la jeune et la doucette.

Avec des appas dégoustans
Et quelques vieux mots du bon tans,
Tirez d’une bouche blesmie,
Tu pense éveiller nos espris ;
Mais la dédaigneuse Cypris
Pres de toy languist endormie.

Amour, du printans compagnon,
Est un enfant : c’est un mignon
Qui se plaist au frais des herbages ;
Parmy les fleurs il tend ses rets,
Et, fuyant les vieilles forests,
Fait son nid aux jeunes bocages.

Maintenant ce dieu glorieux
Courtise Amaranthe aux beaux yeux,
Des Graces l’aymable compagne ;
Tes carquans ne l’émeuvent point,
Ny ton contrefait enbonpoint,
Ny ton rouge et ton blanc d’Espagne.

Lyce, ne pers plus desormais
Le temps et le fard que tu mets
À couvrir ta face ridée,
Ton poil n’en sera moins grison ;