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En plaisir gracieux ;
Change ma mort en immortelle vie,
Et fay, mon cœur, que mon ame ravie
S’envole entre les dieux.

Fay que je vive et fay qu’à la mesme heure,
Baissant les yeux, entre tes bras je meure,
Languissant doucement :
Puis qu’aussi-tost doucement je revive,
Pour amortir la flamme ardante et vive
Qui me va consumant.

Fay que mon ame à la tienne s’assemble,
Range nos cœurs et nos esprits ensemble
Sous une mesme loy ;
Qu’à mon desir ton desir se rapporte ;
Vy dedans moy, comme en la mesme sorte
Je vivray dedans toy.

Ne me defends ny le sein ny la bouche ;
Permets, mon cœur, qu’à mon gré je les touche
Et baise incessamment,
Et ces beaux yeux où l’amour se retire ;
Car tu n’as rien qui tien se puisse dire,
Ni moy pareillement :

Mes yeux sont tiens, des tiens je suis le maistre ;
Mon cœur est tien, le tien à moy doit estre,
Amour l’entend ainsi ;
Tu es mon feu, je dois estre ta flamme,
Et dois encor, puisque je suis ton ame,
Estre la mienne aussi.

Embrasse-moy d’une longue embrassée,
Ma bouche soit de la tienne pressée,
Suçans également
De nos amours les faveurs plus mignardes,
Et qu’en ces jeux nos langues frétillardes
S’estreignent mollement.

Au paradis de tes lèvres décloses,
Je vay cueillant de mille et mille roses
Le miel delicieux ;
Mon cœur s’y paist, sans qu’il se rassasie
De la douceur d’une sainte ambrosie
Passant celle des cieux.

Je n’en puis plus, mon ame à demy folle
En te baisant, par ma bouche s’envolle,
Dedans toy s’assemblant ;
Mon cœur halette à petites secousses ;
Bref, je me fons en ces liesses douces,
Soupirant et tremblant.