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Son œil, par qui tant d’heur vous est ore promis
Abusa mon esprit par la même cautelle ;
Ce corail souriant, qui les baisers appelle,
Mille fois ses trésors à souhait m’a permis.

Comment peut en l’aimant votre âme être assurée ?
Me laissant pour vous prendre, elle s’est parjurée ;
Ce cœur, qu’elle dit vôtre, était naguère à moi.

Elle eut pour me dompter toutes les mêmes armes :
C’étaient mêmes serments, mêmes vœux, mêmes larmes.
Vous pourrez-vous fier à qui n’a point de foi ?

Rouen ne capitula pas aussi vite que madame de Simiers. L’audacieux courage du gouverneur et la circonspection de Desportes rendirent la lutte sanglante. Le roi lui-même y courut, en mainte occasion, les plus grands périls. Convaincu enfin qu’il n’obtiendrait pas l’avantage, il résolut de traiter. Dans la cuisine de Villars régnait un certain Lafont, qui avait antérieurement présidé à la manœuvre des casseroles chez le duc de Sully. Le judicieux ministre ne dédaigna point de l’employer, faute d’un plus noble intermédiaire. Le chef consulta madame de Simiers : la coquette, toujours facile, lui promit son aide et obtint en effet l’assentiment de ses deux protecteurs pour ouvrir des négociations. Elle s’ennuyait sans doute d’un internement volontaire qui ne finissait point. Après quelques retards, Sully vint à deux lieues de Rouen, chez un nommé Saint-Bonnet, d’où on l’introduisit dans le fort Sainte-Catherine. Pendant cinq jours, il eut avec le gouverneur de secrets entretiens. « La plus grande difficulté ne roulait pas sur l’intérêt, nous apprend-il lui-même ; Villars cherchait moins à satisfaire de cupides intentions qu’à obtenir la certitude que le roi, en traitant avec lui, ne désirait pas simplement gagner un chef-lieu de province, mais voulait s’attacher un homme capable de le servir et animé envers lui des meilleures intentions[1]. » Les négociateurs finirent par tomber d’accord, mais le ministre, n’ayant pas de pleins pouvoirs, dut retourner auprès du roi et obtenir son assentiment.

Il revint au bout de quelques semaines, en plein jour et avec une sorte de pompe : Villars avait fait préparer pour lui et sa suite la plus belle hôtellerie de la ville, où il fut traité splendidement. Un de ses gentilshommes alla visiter de sa part le gouverneur, Desportes et madame de Simiers : sa politesse lui fut aussitôt rendue ; on le pria de se reposer tout le jour et on lui dit

  1. Économies royales, t. II, p. 270, édition de 1745.