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Par dessus la beauté, la grace et le sçavoir.

Mais moy, qui n’ay senty la cuisante pointure
De l’archer Paphien, j’aime mieux la verdure,
L’ombrage et la fraischeur des forests et des bois,
Que les saults et les jeux de tous ces villageois.
Aussi, le plus souvent, tout seul je me retire
Au milieu d’un taillis, où je me mets à lire ;
Mais je n’ay commencé, qu’un sommeil gracieux
Me clost, sans y penser, la paupiere et les yeux.

Ô champs plaisans et doux ! ô vie heureuse et sainte !
Où, francs de tout soucy, nous n’avons point de crainte
D’estre accablez en bas, quand, plus ambitieux
Et d’honneurs et de biens, nous voisinons les cieux !
Où nous vivons contens, sans que la chaude rage
D’avancer en credit nous brûle le courage ;
Où nous ne craignons point l’effort des medisans,
Où nous n’endurons point tant de propos cuisans,
Où nous n’avons soucy de tant nous contrefaire
Et ployer le genouil, mesme à nostre adversaire ;
Où tant de vains pensers, d’erreurs, d’afflictions,
De veilles, de travaux, d’ennuys, d’ambitions,
De gesnes, de regrets, de desirs, de miseres,
De peurs, de desespoirs, de fureurs, de coleres,
De remords inhumains et de soucis mordans,
Comme loups affamez, ne nous rongent dedans,
Nous jaunissans la face, et la despite envie
D’une seule douleur ne trouble notre vie.

Ô gens bien fortunez, qui les champs habitez,
Sans envier l’orgueil des pompeuses citez !
Que je plains Nicolas, Bonnet et la Fallaise,
Qui, contens comme moy, ne jouyssent de l’aise
Que je reçois icy, delivré de l’Amour
Et du soin importun qui les suit à la cour.

Voilà, mignons des dieux, les plaisirs qui me suivent
Compagnon des Sylvains qui par les forests vivent ;
Voilà ce que je fais, or’ que l’esté brûlant
Tousjours en s’avançant se fait plus violant,
Et que Phebus, laissant le lion effroyable,
Visitera bien tost la vierge pitoyable.

Mais tant d’heureux plaisirs qu’icy je puis avoir,
Sans regret j’abandonne, afin de vous revoir,
Et la beauté des champs, et l’abry des bocages,
Et la couleur des prez, et le frais des rivages :
Car je vous aime plus cent mille et mille fois
Que les champs, que les prez, les rives et les bois.