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L’innocente perdrix, or’ sous une voix fainte
Je prens la simple caille entr’imitant son chant.
Quelquefois je retourne avec le chien couchant
Luy dresser autre embusche, et le soir je devise,
Quand elle est dans le plat, comme je l’ay surprise.

Puis, las de ce mestier, j’en choisis un nouveau,
Et, garny de filés, je vay chasser sur l’eau
À la truite et à l’umbre, où si bien je m’espreuve
Qu’un saumon quelquefois dans mes filés se treuve.
Or’ avecques la ligne et le traistre hameçon,
Or’ avecques le feu je fay guerre au poisson ;
J’en salle une partie, et l’autre frais je mange,
Et mille fois le jour de passetans je change.

Je fay faucher le foin, dont les diverses fleurs
Gisent également veufves de leurs honneurs.
Ores demy lassé je me couche sur l’herbe,
Ores plus mesnager j’aide à serrer la gerbe.
À faire des plongeons et les bien entasser,
De crainte que le vent les fasse renverser.

Si c’est un jour de feste ou de quelque reinage,
Ou qu’on chomme le jour d’un patron de village,
Je m’en vay à la dance, où courent à monceaux
De tous les lieux prochains les jeunes pastoureaux ;
Mon Dieu ! que de plaisir de voir nos montagneres
Blanches comme le laict, dispostement legeres,
Bondir en petits sauts, reculer, avancer,
Et de mille façons leurs branles compasser !

Là le plus amoureux à qui mieux mieux s’efforce,
Car Amour tout par tout fait connoistre sa force,
Et travaille aussi bien à ranger sous ses loix
Les plus simples bergers, comme les plus grands rois.
Adon en sert de preuve, et le pasteur d’Amphryse,
Et l’amy de la Lune, et le vieillard Anchise,
Et le sac d’Ilion, pastoureaux amoureux,
Qui furent en aimant mille fois plus heureux,
Jouissant à souhait des plus grandes deesses,
Que mille et mille rois chargez de leurs richesses.
Car l’Amour au village est simple et peu rusé ;
Il s’est tant seulement pour la cour déguisé,
Et pour les grands seigneurs, dames et damoiselles ;
Mais il retient aux champs ses façons naturelles.
Il y demeure enfant plein de simplicité,
Il va nud pour monstrer qu’il n’est point acquesté
Par argent ny presens, et, sans user de feinte,
Il guarist aussi tost comme il donne l’atteinte,
Et non comme en ces lieux, où les dons ont pouvoir