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Qui me privez de pensers soucieux,
Et qui rendez ma volonté contente,
Chassant bien loin ma miserable attente
Et les desirs des cœurs ambitieux !

Dedans mes champs ma pensée est enclose ;
Si mon corps dort, mon esprit se repose,
Un soin cruel ne le va devorant.
Au plus matin la fraischeur me soulage ;
S’il fait trop chaud, je me mets à l’ombrage,
Et, s’il fait froid, je m’échauffe en courant.

Si je ne loge en ces maisons dorées,
Au front superbe, aux voûtes peinturées
D’azur, d’esmail et de mille couleurs,
Mon œil se paist des thresors de la plaine,
Riche d’œillets, de lis, de marjolaine,
Et du beau teint des printanieres fleurs.

Dans les palais enflez de vaine pompe,
L’ambition, la faveur qui nous trompe,
Et les soucys logent communément ;
Dedans nos champs se retirent les fées,
Roines des bois à tresses décoiffées,
Les jeux, l’amour et le contentement.

Ainsi vivant, rien n’est qui ne m’agrée :
J’oy des oiseaux la musique sacrée,
Quand au matin ils benissent les cieux,
Et le doux son des bruyantes fontaines,
Qui vont coulant de ces roches hautaines,
Pour arrouser nos prez delicieux.

Que de plaisir de voir deux colombelles,
Bec contre bec, entremoussant des ailes,
Mille baisers se donner tour à tour,
Puis, tout ravy de leur grace naïve,
Dormir au frais d’une source d’eau vive,
Dont le doux bruit semble parler d’amour !

Que de plaisir de voir sous la nuict brune,
Quand le soleil a fait place à la lune,
Au fond des bois les nymphes s’assembler,
Monstrer au vent leur gorge découverte,
Danser, sauter, se donner cotte-verte,
Et sous leurs pas tout l’herbage trembler !

Le bal finy, je dresse en haut la veuë,
Pour voir le teint de la lune cornuë,
Claire, argentée, et me mets à penser
Au sort heureux du pasteur de Latmie ;
Lors je souhaite une aussi belle amie,
Mais je voudrois en veillant l’embrasser.